Avec Survival Of The Unfittest, Helen Ferguson alias Queen Of The Meadow (appuyé par Julien Pras) s’affirme et s’émancipe à travers un folk racé et exquis qui part à la rencontre de Mojave 3, This Mortal Coil ou du John Martyn de Solid Air (1973).
Pourquoi recherche-t-on ces musiques dont on sait sans se tromper qu’elles nous briseront le coeur ? Pourquoi sommes-nous toujours attirés vers ces êtres qui, on le sait, ne peuvent nous apporter que du chagrin et encore du chagrin ? Pourquoi toujours cette pulsion de Thanatos qui nous pousse vers quelque chose que l’on pourrait appeler le néant ?
« Pourquoi pourquoi ? » me direz-vous et vous aurez sans doute raison. « Parce qu’on en a besoin » je vous répondrai comme on a besoin de respirer, d’aimer et de croire, de sentir ses veines couler, d’entendre la grande pompe vitale battre jusqu’au dernier souffle. C’est pour cela qu’on les aime ces artistes au bord des larmes, du désespoir ou de la sensibilité, cette Emily Jane White, ce Rey Villalobos (de House Of Wolves), ce Peter Milton-Walsh, ce Nick Cave, tous ces artistes qui ne s’épargnent jamais et ne nous épargnent pas non plus.
Helen Ferguson alias Queen Of The Meadow est une artiste de cette catégorie, elle qui propose une musique toute sauf innocente, toute sauf inoffensive et Survival Of The Unfittest, son troisième album après Aligned with Jupiter en 2016 et A Room to Store Happiness en 2018 qui ont posé les jalons d’une discographie qui s’annonçait dès ses débuts aventureuse, éminemment sensible et virevoltante.
Il ne faudra pas se laisser duper par la beauté toute botticellienne de l’américaine exilée à Bordeaux. Même si la musique d’Helen Ferguson parle de transport amoureux, de sentiments, il ne tombe jamais dans quelque chose de seulement diaphane. La musique d’Helen Ferguson est habitée à chaque instant par une personnalité singulière que l’on sent volontiers divisée, douce et tranchée tout à la fois.
Si l’on devait tenter un cousinage, on pourrait la rapprocher des travaux de sa compatriote Emily Jane White pour ces mêmes constructions Folk, pour cette approche parfois dark (On a failli dire gothique) sauf que Queen Of The Meadow laisse passer plus de doute et plus de lumières dans ses mélodies. Accompagnée dans l’aventure Queen Of The Meadow depuis le début par Julien Pras, membre de Calc, Pull Ou Mars Red Sky, Helen Ferguson a entamé une lente mue comme quelque chose qui ressemble à une ascension, comme une fleur qui jaillit de terre et petit à petit se déploie. Chacun des disques de Queen Of The Meadow est comme une nouvelle progression, comme une évolution nouvelle sans le moindre reniement de qui l’on était avant et de celle que l’on sera ensuite. C’est ce que l’on appelle une construction.
Alternant moments d’évaporation et passages plus habités, Helen Ferguson joue le chaud et le froid avec nos cœurs au point de nous faire perdre nos points de repère, on cherchera à se raccrocher à des références que l’on voudrait lui accoler, Judee Sill, Vashti Bunyan ou This Mortal Coil mais la dame ne se laisse pas faire. De sa voix large dans son amplitude, elle nous impose le silence allant aussi bien dans les graves que dans le murmuré.
« Abandonne toute volonté, tout champ des possibles » semble-t-elle nous dire. Il ne faudra pas oublier de rappeler la beauté des mélodies aux mille détails, de jeux permanents avec des contrepoints, d’un art consommé de la fugue et de la fuite. La musique de Queen Of The Meadow n’est jamais seulement noire ou manichéenne, elle instiKuronekolle une belle part d’ambiguïté avec des ruptures constantes, elle peut traverser de grands moments d’accalmie avant de grandes respirations haletantes de batterie. On insistera encore sur la beauté évidente de titres comme Dishonorable Discharge, The King And The Hoe ou encore Modesta.
Helen Ferguson disait à la sortie de son second album A Room To Store Happiness : « Cet album, c’est une invitation à entrer dans ma pièce, s’asseoir dans un bon fauteuil, et ouvrir les petites boîtes qui sont rangées sur l’étagère. » Et si ce troisième album de l’américaine était en soi des boites dans lesquelles on pourrait aller cacher nos craintes et nos angoisses, les mettre à distance. C’est peut-être pour cela que la musique de Queen Of The Meadow est si précieuse, parce qu’elle nous offre l’espérance d’un apaisement.
Greg Bod