Même si l’on aimerait beaucoup adorer Promising Young Woman et si l’on ne peut s’empêcher d’espérer qu’il influencera positivement ses spectateurs masculins, il faut bien avouer qu’Emeral Fennell livre un premier film qui n’est pas à la hauteur de ses ambitions.
Une chose que l’on se doit d’apprécier avec le cinéma contemporain, anglo-saxon en particulier, c’est sa capacité de se faire l’écho « en temps réel » des grandes mutations sociales, des grandes crises planétaires, et d’en nourrir des fictions qui conjuguent la plupart du temps habilement divertissement roublard (bien sûr, puisqu’on est dans le monde merveilleux de l’Argent-Roi) et réflexion pertinente. Le fait que la masculinité toxique soit depuis quelques années ébranlée par une prise de conscience profonde de ses méfaits – ce n’est pas une question de « féminisme », comme s’en indignent les réactionnaires de tous bords, mais bien de pur « humanisme » – et qu’Emerald Fennell, jeune auteure britannique débutant à la réalisation, en fasse le sujet de son premier film, nous donne vraiment envie d’aimer inconditionnellement Promising Young Woman. Ce n’est malheureusement pas vraiment possible.
Emerald Fennel n’est pas une complète inconnue, puisqu’elle a récemment interprété le rôle passionnant de Camilla Parker Bowles dans The Crown, et qu’elle a collaboré – ce qui est plus inquiétant quand même – au scénario de Killing Eve, mais ce premier film lui a quand même valu de recevoir un premier Oscar pour son scénario, ce qui n’est pas donné à tout le monde. Et, même si l’enthousiasme vis-à-vis de Promising Young Woman aux USA et en Grande-Bretagne nous semble disproportionné, vu d’Europe où tout le monde est plus sceptique, on doit avouer que son scénario a le mérite d’être régulièrement surprenant : même si nombre des retournements de perspective ou de situation qu’il nous offre sont assez prévisibles quand on a un peu d’expérience cinéphilique, le gros « choc » de la toute dernière partie ne manque pas de sel. Et ce d’autant que Fennel, en bon adepte des théories de son illustre compatriote Hitchcock, ne recule pas devant l’illustration du fait que « Tuer quelqu’un est très dur, très douloureux, et très… très long. »…
En plus de choisir intelligemment, à la manière coréenne, de se livrer à un mélange de genre incongru (revenge porn, thriller psychanalytique, comédie horrifique, comédie romantique), Fennel a réuni un casting parfait, alliant une actrice charismatique, Carey Mulligan, qui confirme ici son retour après la réussite de The Dig, et une brochette d’acteurs aimés pour ses seconds rôles : voir ainsi Christopher Mintz-Plasse, Clancy Brown ou le grand Alfred Molina offrir leur considérable talent pour le soutenir est indéniablement un atout pour le film.
Et pourtant, même si Promising Young Woman génère son content de trouble, et peut même s’avérer perturbant pour peu qu’on soit sensible à ce genre de manipulation scénaristique (le jeu des révélations retardées est quand même vraiment très, très lourd !), il est impossible de parler ici de réussite. D’abord parce que ce fameux mélange de genre, pour fonctionner, nécessite plus d’habileté que Fennel, débutante, ne l’oublions pas, n’en manifeste : n’est pas Bong Joon Ho qui veut (le parallèle avec Parasite s’impose assez naturellement, finalement, puisqu’on parle de critique sociale virulente habillée en comédie et en thriller violent)… Ensuite parce que Fennel, on ne sait pas vraiment pourquoi, renonce à toute radicalité potentielle, en noyant son film dans un sirop contemporain qui l’abêtit tristement : entre la BO « pop » littéralement atroce, les références à Harley Quinn et la prise en compte de l’inculture de son public-cible qui ne comprendrait pas qu’en chiffres romains, 4 s’écrit IV et non IIII (on nous rétorquera qu’il s’agit des bâtons dans le cahier de la psychopathe, mais nous n’avons pas réussi à le lire comme ça…), et surtout un dernier coup de théâtre – sorte de happy end bien dans l’air du temps -, la charge politique et sociale du film se désamorce peu à peu.
S’il est indéniable que ce dont parle Promising Young Woman est essentiel, et que le chemin est encore long (il suffit de lire certaines réactions, même de la part de gens que l’on jugerait « ouverts ») jusqu’à ce que l’arrogance WASP et la violence fondamentale de la sexualité masculine ne soient vraiment plus tolérées, ce n’est malheureusement pas ce film qui fera beaucoup avancer la situation.
PS : Nous n’avons pas non plus réussi à nous sortir de la tête ce souvenir obsédant de The Accused, un film datant – quand même – de 1989 qui traitait du même sujet, avec beaucoup d’avance sur son temps, et où Jonathan Kaplan, Kelly McGillis et Jodie Foster faisaient un bien meilleur boulot…
Eric Debarnot