Difficile de ne pas se laisser séduire par le folk apaisé et mélodique de Reason to Live, le dernier album de Lou Barlow, vieux guerrier ayant décidé de chanter le bonheur ou au moins l’apaisement. Et alors, pourquoi résister ?
Le dernier – et superbe – album de Dinosaur Jr nous avait donné un indice de taille quant à l’état psychique de Lou Barlow : l’éternel déchiré allait bien mieux ! Et le fait que son nouvel album solo s’intitule Reason to Live confirme a priori le recentrage de son folk primitif sur le vieux thème du retour aux bases d’une vie heureuse. Bien entendu, nombre d’entre nous, biberonnés au rock torturé, pensent encore fondamentalement que le bonheur ne produit pas de musique « essentielle ». Si au pinacle de nos albums préférés on trouve Closer de Joy D, Pornography de The Cure ou la discographie complète de Nirvana, c’est bien qu’on savoure la douleur, la souffrance, l’égarement, principaux carburants de la créativité. Mais si on nous rappelle alors que le plus bel album de Paul McCartney, celui qui égale, voire surpasse les Beatles, c’est un Ram qui chante les joies de la vie simple à la campagne, c’est bien que tout n’est pas si simple…
Et il se pourrait bien, objectivement, que ce Reason to Live soit le meilleur album à date de Lou Barlow… Un sentiment que notre (presque) émerveillement devant In My Arms, Why Can’t It Wait ou l’élégiaque Love Intervene ne peut que confirmer. Quoi, Lou Barlow, en vieillissant, ressemble désormais à Cat Stevens (… et même au niveau vocal…) ? Eh oui, pourquoi pas, après tout ? Car « Tide after tide / Change is the meaning of life / It turns any wall into sand » (Marée après marée / Le changement est le sens de la vie / Il transforme n’importe quel mur en sable), et avec l’âge vient et l’usure et un certain besoin de trouver un sens à tout ça, même dans les choses les plus élémentaires… Remarquez, comme rien n’est aussi simple qu’on le voudrait, c’est le même type qui n’en est pas à une contradiction près, et qui nous dit deux chansons plus tard, sur I don’t Like Changes : « I don’t like changes / I know it’s obvious, but still / I just can’t bring it to my lips / I need more proof, I don’t need this… » (Je n’aime pas les changements / Je sais que c’est évident, mais quand même / Je n’arrive pas à le porter à mes lèvres / J’ai besoin de plus de preuves, je n’ai pas besoin de ça…).
Barlow nous explique qu’avec cet album, il a réussi pour la première fois à connecter sa vie artistique et sa vie quotidienne (« home life »), ce qui nous ramène à Paulo et Linda, et leur Ram, non ? S’il rajoute ensuite qu’il s’agit ici d’ouverture, de créer un espace suffisant pour y vivre – lui, mais aussi l’auditeur -, on nous rétorquera sans doute qu’il s’agit bien là de propos de « vieux bab’ », comme on disait dans les années 70… Non ! Plutôt de survivant de guerres anciennes, gagnées ou perdues, mais en tout cas qu’on a désormais envie d’oublier. « Are we afraid of the light? / With nothing to hide behind / Well, our lives have left you hungry / But I followed you down / With my arms open, free fall / You are welcome to grow » (Clouded Age) : Avons-nous peur de la lumière ? / Sans rien derrière quoi nous cacher / Eh bien, nos vies t’ont laissé affamée / Mais je t’ai suivie dans ta chute / Avec mes bras grands ouverts, en chute libre / Tu es la bienvenue si tu veux grandir… »… soit une histoire de seconde chance pour ceux qui s’en sont sortis entiers et à qui le goût de vivre est revenu.
https://youtu.be/ddKXN_L-7OY
Avec un son un peu moins basique, moins primitif que celui auquel il nous avait habitué, avec une guitare acoustique en avant et un chant qui refuse toujours la sophistication en lui préférant la sincérité, Lou Barlow nous offre finalement avec son Reason to Live un disque de folk des plus classiques. Mais, comme chez Neil Young par exemple, l’idée est quand même de ne jamais nier la complexité de l’existence sous prétexte qu’on joue plus calmement et qu’on est capable de pondre de belles mélodies efficaces (Thirsty ou Privatize, au hasard…). Et comme pour ce vieux Neil – dont on croirait entendre les arpèges en ouverture de Lows and Highs – on est évidemment en droit de préférer quand Barlow joue électrique. Mais en attendant, prenons le plaisir où il est : dans l’intimisme presque serein (presque… car il ne faut rien exagérer) de chansons composées sans doute avant tout pour nous rassurer – et pour se rassurer : quand tout s’effondre, la vie continue, et on peut même la trouver belle.
« The way it happened is never gonna be explained / But how we try, and we’ll try again… » (Act of Faith) : La manière dont c’est arrivé ne sera jamais expliquée / Mais nous essayons, oui, et nous réessayerons encore… Ça s’appelle la résilience. Avec toujours un peu d’espoir.
Eric Debarnot