Les Inrocks et l’Olympia, sous la contrainte quand même du passe sanitaire et de la distanciation imposée, ont permis, ce jeudi 10 juin, au public parisien de renouer avec le plaisir des concerts en salle. On s’est même levés en restant sagement devant nos sièges pour danser, en particulier sur l’électro-funk orientalisant d’Altin Gün, qui ont littéralement pris le cœur du public en otage.
Voilà, voilà, c’est reparti… Enfin, c’est ce qu’on essaie de croire en attendant, devant l’Olympia en cette chaude fin d’après-midi de juin, l’ouverture de la salle pour la première soirée du Festival des Inrocks 2021. On fait une photo souvenir de notre très cher fronton lumineux, pour nourrir nos futurs souvenirs. L’organisation de la salle s’avère un peu vacillante quand il s’agit d’assurer un protocole sanitaire compliqué – contrôle des QRs codes attestant de notre bonne santé, vérification des pièces d’identité, bracelets collants distribués aléatoirement, placement par des « ouvreuses » pas bien briefées, etc. On ne leur en veut pas, on est tellement contents d’être là. Même assis (« les concerts assis, ça ne tient pas debout ! » est le nouveau mot d’ordre), avec un siège entre chaque groupe de spectateurs, même sans bière pour cause de bar fermé (alors que tous les bars parisiens sont ouverts… ne cherchez pas la logique !), oui on est contents d’être là…
19h15 : Catastrophe, un « collectif » français combinant comédie musicale aux effluves 70’s avec un esprit farouchement variétés françaises classiques ouvre le bal. Musiciens et danseurs créent un spectacle permanent – qui par moment évoque une version pas tout à fait accomplie du show total offert par David Byrne et sa troupe lors de sa dernière tournée. Les vocaux sont régulièrement très beaux, et le set propose quelques jolies montées en puissance dansantes, voire presque funky, qui enthousiasment un public clairement sevré de danse et de fun. On pense çà et là à Jacques Demy et à Michel Legrand, même s’il y a un petit quelque chose d’un peu anodin dans cette re-création de stéréotypes très français d’une variété certes de haut niveau, mais quand même décalée par rapport à notre temps. La seule chanson en anglais, Party in my Pussy, introduit un peu de non-sens, qui manque dans les textes en français. Bertrand Burgalat fait une apparition en invité de luxe, et nous balance un Homme idéal très classe, très amusant aussi… forcément. Catastrophe demande au public de se lever et de danser sur place en restant devant nos sièges. C’est une toute petite libération, un peu à l’image de ce groupe un peu trop poli et lisse pour soulever – au moins de notre part qui aimons les sensations plus fortes – un vrai enthousiasme. Pourtant le final, plus physique, plus sensuel, de Encore prouve que quelque chose pourrait advenir. 45 minutes qui ont, en tout cas, beaucoup plu au public du festival.
20h17 : dès qu’Altin Gün attaque, on respire. Fini la tiédeur, bienvenue à la transe. Il est d’ailleurs remarquable de constater combien le groupe a progressé depuis leur passage à We Love Green en 2019 ! D’entrée, on retrouve bien cette puissance musicale qui renvoie au psychédélisme californien de la fin des sixties. Et puis, bien sûr, parce que les racines du groupe sont turques, il y a ces ouvertures magnifiques vers la musique traditionnelle, avec Erdinç Ecevit comme toujours impérial et impassible derrière son saz. Et puis le groove devient électro, avec moult effets de synthés très seventies, quand les lumières – avec boule à facettes, obligatoirement – transforment l’Olympia en dance floor. Tout le monde était debout dès le premier morceau : chacun devant son siège mais au moins on pouvait danser, presque comme dans un concert « normal »…
Quand les guitares s’enflamment sur la double rythmique, le tout sur une mélopée orientale, on n’est pas si loin finalement de King Lizzard et ses expériences microtonales, jusqu’à ce que le chant splendide de Merve Dasdemir nous ramène autour de la méditerranée. Bref, un riche voyage à travers le temps et le monde, qui finit en transe sensuelle… qui ne devrait pas finir si vite d’ailleurs. Seulement 50 minutes alors qu’on aurait aimé un set complet de 1h30. Mais c’est la dure loi des festivals. Il faut céder la place aux suivants. Vite, vite, il faudra revoir Altin Gün !
21h25 : leur dernier album, « Paradigmes », le laissait prévoir…on ne doit plus attendre de la Femme les bons délires scéniques vaguement punks qu’ils nous offraient encore à l’époque de « Mystère »…, et d’ailleurs l’entrée sur scène de la bande de biarrots le prouve : un costume blanc et une perruque blonde pour tout le monde, garçons et filles, pour un look seventies ringard et unisexe, un alignement de claviers, une musique clairement plus calme, avec juste un peu de guitare quand il faut quand même. Même si on chante tous les « pa, pa, pa… » sur Cool Colorado avec un vrai plaisir, l’atmosphère est assez sombre – bon, il n’y a pas non plus beaucoup de lumières sur scène, ce qui nous frustrera pour les photos -, et les chansons sonnent à la fois très pop (la référence Elli & Jacno, toujours…) et presque sépulcrales. Les voix des filles sont un peu plus soignées qu’avant, mais la Femme continue à sonner très amateur – ce qui est quand même une caractéristique gênant la partie du public attirée par des musiciens plus conventionnels.
En fait, il y a des idées, de l’originalité, mais malheureusement pas beaucoup d’excitation, même si Sacha, toujours aussi déterminé à faire le show, quitte la perruque, puis la veste : exciter le public, jouer de son synthé en se roulant par terre, c’est son truc. On est quand même heureux de retrouver ce côté déjanté du groupe, même si on ne sent plus cette atmosphère de délire collectif qu’on aimait autrefois. Ce qui fait que l’intérêt commence à retomber… quand la Femme nous balance deux chansons punks, dont un Foutre le Bordel au titre bien réjouissant : en l’honneur du bon vieux temps, les copains sont même venus donner un coup de main sur scène… et dans la salle, on sent le bonheur des fans de la première heure. Petit pogo prudent devant nos sièges, oui ça fait du bien… Le concert se terminera dans des atmosphères sombres et sur une version psyché / dark de Vagues, qui dépasse un peu les limites de notre patience.
Près d’une heure dix de set, avec de jolis moments, mais quand même de vrais longueurs durant lesquelles il était difficile de maintenir sinon notre attention, du moins notre enthousiasme.
Ce soir, c’était clairement Altin Gün qui aurait dû faire la tête d’affiche, et on pourrait presque parler d’erreur de programmation de la part des Inrocks (… sans revenir sur la dispensable première partie qui n’était clairement pas à sa place ce soir…). Mais ce sont là de toute manière des critiques presque insignifiantes par rapport au plaisir que nous ont offert les Inrocks et l’Olympia : le plaisir de danser, d’être ensemble, de vibrer à nouveau sur de la musique live. Merci, merci, merci !
Texte et photos : Eric Debarnot