Elle est mexicaine et il est allemand. Angelika Baumbach et Markus Sieber forment Mirabai Ceiba pour confectionner avec The Quiet Hour, une musique qui brouille les pistes et les frontières s’appuyant aussi bien sur les mantras Gurmukhi que sur les chants d’Amérique Latine.
Les idées préconçues ont la vie dure et il est parfois difficile de les dépasser. Pourtant, lorsque la beauté s’impose, l’intelligence du cœur voudrait que le doute et le scepticisme se taisent. Alors quand on incorpore une bonne part de mysticisme et de spiritualité à sa musique, les sourcils se froncent, une inquiétude s’installe, le spectre du New Age hante les esprits étroits. Pensez New Age et nous nous souvenons de disques que nous aimerions oublier et de synthétiseurs sirupeux avec Enya en tête de liste (c’est peu dire). Pourtant, de grands disques auxquels ce terme réducteur est attaché ont vu le jour, je pense aux disques de Tony Scott, au disque de Thomas Bartlett avec Nico Muhly, Peter Pears : Balinese Ceremonial Music qui puise autant dans la spiritualité de Bali que dans son répertoire. Je me souviens d’un semblant d’agacement lorsque j’ai raillé le terme new age avec Joseph Shabason, Nicholas Krgovich et Chris Harris dans un entretien que j’ai eu avec eux à l’occasion de la sortie de Philadelphia (2020), qui se réclamait de ce courant.
Je suis arrivé à Mirabai Ceiba par le biais du projet parallèle de l’un des deux protagonistes, Markus Sieber et son entité essentiellement instrumentale Aukai, qui à travers quatre albums, tous plus beaux les uns que les autres, et dont le dernier, Game Trails, est sorti en 2020, propose une relecture de cet instrument méconnu, le Ronroco, cette sorte de mandoline d’Amérique latine, popularisée par le compositeur argentin Gustavo Santaolalla dans ses bandes originales de films (Babel, Le secret de Brokeback Mountain). Quel étrange voyage que celui qui a amené l’Allemand de l’Est Markus Sieber de la lointaine Europe à Durango, dans le Colorado. Quelle distance il a dû parcourir pour rencontrer la harpiste mexicaine Angelika Baumbach, avec laquelle il s’est marié et a formé Mirabai Ceiba. Mais comme rien n’est jamais simple dans la musique limpide du duo, ils décident tous deux de réunir des mantras du monde entier à travers une réécriture hautement spirituelle. Ceiba fait référence à l’arbre sacré dans la culture latino-américaine.
Lorsqu’on leur demande d’expliquer leur démarche, les deux hommes répondent à l’unisson : « Nous faisons le vœu que notre musique soit comme cet arbre, avec ses racines qui s’enfoncent dans la terre et ses branches qui poussent vers le ciel. Mirabai signifie pour nous le voyage, la dévotion, l’inspiration, la spiritualité. »
Markus Sieber travaille depuis longtemps sur le thème de la nuit et des éléments nocturnes. Déjà sur Branches, le deuxième disque d’Aukai en 2018, il y avait ce magnifique morceau qui annonçait les atmosphères que l’on retrouve sur The Quiet Hour, le morceau s’appelait Nightfall et illustrait avec une poésie saisissante ce moment que nous connaissons tous, ce moment entre chien et loup, cet état qui n’appartient plus au jour ni pourtant totalement à la nuit.
Sur The Quiet Hour, le couple et le duo poussent beaucoup plus loin la proposition à travers sept rêves traversés par une grâce sans nom. On retrouve cependant beaucoup des ingrédients présents dans les disques New Age et ceux de Mirabai Ceiba, le Ronroco de Markus, la voix angélique d’Angelika sauf que tout est question de juste équilibre et de sobriété au sein de chacun de ces morceaux forcément oniriques et précieux. Là où chez d’autres, la harpe devient un outil rythmique (L’Etrangleuse par exemple) ; là où la harpe peut devenir un instrument irritant entre de mauvaises mains, elle s’impose entre les doigts d’Angelika Baumbach comme l’assurance d’une passerelle vers une errance.
On pensera dans la mêlée aux disques de Madredeus, Teresa Salgueiro, un fado apatride. On pensera à un Tango sans danse, à un John Dowland qui aurait traversé les mers et qui aurait saisi l’amour courtois et l’aurait sculpté sur son instrument. The Quiet Hour ne cache jamais ses intentions, vous transporter dans un ailleurs serein. Angelika Baumbach et Markus Sieber ne mentent jamais sur leur capacité à vous emmener dans un monde qui ressemble un peu au nôtre, mais tranquillisé de ses failles et de ses peurs. Tous deux ont compris que bien plus que le territoire des angoisses et des doutes, la nuit est cet espace-temps où tous les sens sont mis en éveil, où notre perception et notre traduction du silence sont les meilleures. Take On A Thousand Forms, le poème de Goethe que le duo adapte, voit l’apparition de la chanteuse Marketo Irglova comme un contre-champ. L’instrumentarium tourné autour de guitares de tout format mais aussi de la harpe ou d’un violoncelle donne des couleurs néo-classiques à cet ensemble.
Dans Que Quede Escrito, Angelika Baumbach chante avec justesse ces mots qui en disent tant : « Il n’y a pas de distance dans ce monde des âmes. »
The Quiet Hour annihile les distances entre nous et s’approche au plus près de ce que l’on pourrait appeler la sérénité. Que Mirabai Ceiba en soit remerciée et qu’Angelika Baumbach et Markus Sieber en soient justement récompensés.
Greg Bod