The Reed Conservation Society, le groupe mené par Stéphane Auzenet, continue de multiplier les merveilles avec cet EP 3 proposé dans un superbe fourreau où viennent s’ajouter les deux autres EPs. Immanquable !
On a cent fois, mille fois peut-être, annoncé la mort du Rock mais aussi de la Pop. Si comme moi, vous en avez assez de ces prophètes bigleux qui se prennent à chaque fois les pieds dans le tapis, vous savez bien que la Pop est pour toujours éternelle. Le débat est donc clos, me direz-vous. Et bien, oui et non. La Pop a cela pour elle qu’elle a toujours su se renouveler en se nourrissant ou en cannibalisant (selon les jugements) d’autres genres. Il n’y pas une Pop mais cent, comme autant de significations possibles. Que peuvent bien avoir en commun le Folk d’un Neil Young et le Rock ténébreux du Velvet Underground, si ce n’est l’envie de se colleter à son temps présent et les craintes de l’instant ?
Et si le manifeste de The Reed Conservation Society était à aller chercher dans cette duplicité d’une identité qui joue avec les temporalités, avec la pop américaine des années 60 et 70, comme par exemple celle de Burt Bacharach, de l’Elvis Costello le plus soyeux, mais parfois avec le Power Pop ? Ce qui est certain, c’est que Stéphane Auzenet, celui qui officiait chez Verone, le groupe de Fabien Guidollet, a voulu suivre un chemin différent, qui irait aussi bien chercher du côté de la Pop Baroque et sublime des années 60 que du côté du Folk. Chaque Ep, jusqu’ici, nous a subjugué, et EP3 poursuit avec cette excellente habitude. On dira encore ici tout le bien que l’on pense des arrangements subtils que l’on entend avec cette Société de Préservation Du Roseau.
Pourtant, on pourrait craindre – au mieux – un exercice de style, une démarche qui masquerait mal la connaissance savante des codes d’un genre, on pourrait y voir aussi un geste un peu stérile et passéiste qui consisterait à vouloir faire du neuf avec du vieux. Sauf que, pour une fois, vous n’aurez pas à rajouter un « mais » définitif à cette analyse, sauf que (conservant sa volonté privative de défaut) ce qui était au départ un projet annexe est bel et bien devenu un groupe, avec une volonté toujours plus présente de s’appuyer sur la notion de collectif, ce qui est non seulement stimulant mais inspirant.
A l’écoute de cet EP3, on a la constante impression d’un groupe en totale liberté qui se permet tout, et plus encore : à l’image d’un Dream Of Agapé tournoyant entre les genres, on va d’un Frankie Valli naïf au Love d’Arthur Lee, avec ces trompettes limpides qui irriguent la mélodie. Ce que l’on entend aussi à l’œuvre ici, c’est le fantasme d’une Amérique vu par le prisme (forcément déformant) d’une conscience française.
Ayant toujours fait la part belle aux collaborations, The Reed Conservation Society ressemble un peu à une auberge espagnole, avec une belle perspective offerte par les femmes. On pourra citer la présence de Lonny sur Holy Mood – dont on attend le premier long-format avec impatience -, mais aussi la superbe Alma Forrer, revenue vers un son plus minimal sur Paulita Maxwell qui convient si bien à son vibrato naturel. Avec cet EP3, The Reed Conservation Society vient clore une trilogie entamée il y a deux ans. Quand on fait le bilan des dix-neuf chansons qui constituent cet ensemble, on ne peut pas imaginer que Stéphane Auzenet et les siens s’arrêtent en si bon chemin : au contraire il ne s’agit sans doute là que le début d’une aventure que l’on espère fructueuse et plein de belles surprises à découvrir encore.
Mon collègue Eric Debarnot disait avec pertinence tout le bien qu’il pense de Olivier Rocabois Goes Too Far, le premier LP du musicien breton. On sentait dans sa critique très équilibrée de ce superbe disque de Pop Baroque toute sa surprise et son plaisir à voir un tel objet sonore émerger en 2021 en France ! Comme Olivier Rocabois, sous un angle différent The Reed Conservation Society est un groupe lettré et cultivé qui ne s’appuie pas sur ses références, qui ne les paraphrase jamais mais qui en propose une relecture déphasée et distante de toute localisation géographique. Cette trilogie aurait tout aussi bien pu sortir en 1967 qu’en 2030, les points de repère temporels n’ont pas lieu d’être ici, car on est avant tout dans l’instant, dans le moment, dans la spontanéité de la Pop la plus brillante.
Quand la Pop peut nous transcender en somme.
Greg Bod