Certains se sont plaints du fait que les expérimentateurs forcenés de King Gizzard & the Lizard Wizard restaient dans leur zone de confort avec leurs 2 derniers disques : voici Butterfly 3000, un nouvel album qui marque un vrai départ du groupe vers d’autres formes ! Mais il n’est pas sûr que le public habituel du groupe suive…
Depuis longtemps, et leurs débuts « garage rock » désormais bien loin, les Australiens de King Gizzard & The Lizard Wizard nous ont habitués à faire tout et n’importe quoi : de la musique micro-tonale (dans laquelle ils excellent, le trio Flying Microtonal Banana, K .G. et L. W. en témoigne ) au krautrock, en passant par le jazz lounge et le boogie-woogie, sans oublier le Rock progressif et le Heavy Metal millésimé années 70, ils nous ont habitués à presque toujours nous surprendre, tout en gardant quand même leur identité. Un pas plus loin encore, voici donc Butterfly 3000, qui voit le groupe tenter la dilution totale dans une électro pop particulièrement accueillante.
Au premier abord, il est d’ailleurs beaucoup plus difficile de reconnaître ici leur signature dans cette musique très ludique, voire franchement joyeuse, qui court le risque de paraître superficielle : même le psychédélisme flamboyant qui a finalement toujours survécu plus ou moins derrière toutes les formes musicales adoptées par le groupe prend du temps à ressurgir, et ne peut véritablement être reconnu que dans la toute dernière partie de l’album, quand les morceaux abandonnent l’immédiateté pop, s’allongent (un peu), et accèdent à nouveau à la transe, malgré l’absence de la guitare électrique.
Butterfly 3000 est clairement une fois encore un véritable album-concept, avec un enchaînement des chansons (certes habituel chez King Gizzard) mais surtout une grande homogénéité des atmosphères, des rythmes et des mélodies, ce qui est déjà plus nouveau. Derrière l’aspect chatoyant des mélodies – surtout les premiers titres, assez irrésistibles, pour peu qu’on n’ait pas trop de problèmes avec une tendance à la « chinoiserie » un peu caricaturale (Shangai, mais pas que…) – et la suavité des vocaux, l’auditeur réalise peu à peu l’ambition démesurée de cet album par rapport aux nouveaux modes d’écoute en vogue aujourd’hui. Car pour apprécier Butterfly 3000 à sa juste valeur, il est indispensable d’écouter d’une traite ses 44 minutes, comme une « pièce » continue. De prendre le risque de l’ennui par instants – car tout n’est pas uniformément brillant, on s’en doute -, d’accepter la nécessité de plusieurs écoutes, et peut-être surtout de bien vouloir « lâcher prise ».
Car, comme nous en faisions déjà la remarque récemment en écoutant le dernier Lou Barlow, nos réflexes d’amateurs de musique Rock nous éloignent naturellement des musiques qui ont avant tout le désir d’être positives et joyeuses… comme c’est le cas ici. Bref, derrière la première impression accueillante que donne l’intro efficace de Yours, se dissimule l’un des albums les plus exigeants de King Gizzard & The Lizard Wizard : un album de vrai « rock progressif », mais construit sur des programmations électroniques peu sophistiquées puisque le groupe n’a jamais cédé à la tentation de la virtuosité, et une invitation à la joie alors que le monde entier a plutôt tendance à se laisser aller au blues pandémique. Il y a fort à parier que les punks qui aimaient la violence incandescente et la puissance rythmique du King Gizzard originel lâcheront l’affaire, et rien ne garantit que le public prog adhère à cette approche « bricolée » de la musique, cette fragilité souriante qui n’incite qu’à l’abandon et à l’amour.
Plus près que jamais de Yes (est-ce nous ou bien avons-nous entendu ça et là des réminiscences du chant de Jon Anderson ?), mais plus « cosmique » quand même, beaucoup moins heroic fantasy puisqu’on parle ici plus de rêves – et de papillons – que de monstres, King Gizzard nous propose cette fois, après deux albums de continuité / répétition, une véritable révolution dans leur discographie. Qu’on aime Butterfly 3000 ou pas, il faut bien reconnaître qu’il est un pari courageux.
Bien entendu, il est – heureusement – impossible de savoir s’il s’agit d’une véritable nouvelle orientation des Australiens, ou bien d’une simple expérimentation générée par les conditions particulières de la pandémie et du confinement. Qui vivra verra.
Eric Debarnot