Quand la moitié de The Dø se lance dans un concept d’artiste virtuel, on se doute forcément que le résultat ne peut être que bon. Et en digne successeur d’un fameux duo casqué, S+C+A+R+R veut lui aussi nous faire danser le temps d’un été emprunt de mélancolie.
Depuis le 22 février la France est orpheline. Ses deux papas, Thomas Bangalter et Guy-Manuel de Homem-Christo ont raccroché les casques laissant tout le monde pantois avec une courte vidéo extraite de leur film ultra cryptique Electroma. Pas un mot, rien, tout juste une date de naissance et de mort, deux robots marchant dans le désert façon Gerry et un montage vite fait bien fait pour intégrer Touch. S’il y a de l’amertume entre ses lignes ? Bien sûr si on considère qu’on perd nos plus gros artistes à l’international et surement les maîtres incontestés de l’électro !
Pourtant en février, un autre hurluberlu, errait aussi dans un désert. Un désert en 3D certes, plus une danse qu’une démarche erratique et surtout un faire part de naissance bien plus que l’annonce d’une mort brutale. Pour son deuxième clip officiel, S+C+A+R+R reprend le kiki challenge (mais si vous savez, ces gens en 2018 qui dansaient en étant filmé par quelqu’un à l’intérieur d’une voiture roulant au pas la porte ouverte) avec une classe toute à lui. Et il confirme par la même occasion sa patte artistique : des clips résolument minimaliste où la danse, sa danse est à l’honneur.
De ce projet bien identifiable on ne saura pourtant pas grand chose. Volontairement mystérieux, le concept tourne autour d’un personnage atypique, sorte de grand dadais à la petite bedaine apparente on l’imagine mal alors comme un descendant naturel des deux gringalets habillés par Yves Saint-Laurent. Pourtant S+C+A+R+R est bien un nouveau représentant de la French Touch, toujours paré de son pull noir, d’un pantalon blanc et de chaussures vernies, il fait preuve d’une sobriété et d’une classe instantanée. Pas besoin dans faire des caisses, le bonhomme nous paraît immédiatement accessible, comme si on l’avait déjà croisé à une soirée ou dans les rues d’un arrondissement branchouille de Paris. Accessible, il l’est aussi par la sympathie qu’inspire ses clips. Toujours affublé d’un grand sourire (même si synthétique, l’excellente 3D ne tombe jamais dans l’Uncanny Valley) et osant même quelques gros plans rapides sur son fessier, l’artiste virtuel n’appartient pas à la catégorie danse contemporaine mais bien au contraire enchaine les pas les plus surprenants et pourrait parfois nous rappeler nos souvenirs les plus honteux en boîte de nuit mais avec toujours cette fichue cool attitude qu’on lui envie.
Musicalement, notre vocaloid tricolore fait aussi immédiatement penser au binôme mythique. Avec une voix systématiquement harmonisée, difficile en effet de ne pas rappeler des morceaux comme One More Time, Around The World ou encore The Game of Love. L’exercice peut paraître paresseux pour tout défenseur des voix naturelles mais il faut bien reconnaître que les vocoder et autres effets de post prod deviennent dans ce genre de cas de véritables instruments à part entières et confère à n’importe quel lyrics de l’EP Cross Out une une mélancolie automatique. Comme un robot doté de spleen, S+C+A+R+R peut alors nous émouvoir comme sur You’re The One ou In My Head. Mais qu’on ne s’y trompe pas, les 9 titres (oui 9 titres pour un EP…) restent majoritairement dans une vibe clubbing. Le contraste avec la voix désenchanté devient donc savoureux et rappelle les meilleurs heures de Discovery.
Si en terme d’influence il fallait pourtant citer un duo français de qualité, ce serait The Dø. Et on ne se mouillerait pas trop puisque S+C+A+R+R est en grande partie l’œuvre de Dan Levy, l’une des deux têtes pensantes avec Olivia Merilahti Bouyssou d’un duo qui aura fait bouger bien des têtes pendant presque 15 ans avant de prendre une pause bien méritée pour que chacun s’adonner à ses projets personnels. De l’implication dans S+C+A+R+R de Dan Levy, il restera toujours des zones d’ombres, le projet étant à la manière d’un Gorillaz entièrement motivé par ses personas fait de polygones et de textures. Le Français s’amuse en interview à jeter le trouble sur la genèse de cette cicatrice, affirmant parfois avoir reçu des demos d’un jeune talent très timide et avouant à d’autres occasions qu’il est le créateur des morceaux. Les photos sur le compte Instagram officiel joue encore une fois subtilement avec de vrais clichés pris en studio et des incrustations 3D.
Et il aura bien fallu un premier concert à la Gaîté Lyrique le 16 juin pour se rendre compte que S+C+A+R+R est un peu tout ça. Reprenant une formation rappelant fortement The Dø, le concept n’est pas allé aussi loin que Damon Albarn aurait pu le faire en son temps. Les quelques clips sont tout de même bien mis en avant et on découvre un chanteur pas si loin que ça de son avatar numérique. Notre sosie de Johnny Depp national a quand lui l’air de se faire plaisir comme jamais, une impression qui se retrouve aussi tout le long de l’EP. Si encore une fois on se remémore son précédent groupe sur des morceaux comme What Do You Need ? à l’intro très poétique suivi d’un beat bien marqué pour un morceau finalement très rock indie, le monsieur se fait aussi une cure de jouvence avec le tube aux 3 millions de vues The Rest of My Days. Sur un refrain presque glitché, les idées fusent et on a pas le temps de s’ennuyer sur ce qui est pourtant un pure titre pour les bandes FM.
Et ils sont nombreux les titres qui vont nous coller le sourire pour le reste de la journée. Sorti idéalement au moment du déconfinement, on s’imagine déjà bien dansé jusqu’au bout de la nuit sur Never Give Up et ses drops bien sentis ou la mélodie entêtante de So Easy, So Good. You’re the One, plus lent et suave nous rappellera au bon souvenir du film J’ai perdu mon corps pour lequel Dan avait gagné un oscar et qui avait définitivement lancé ce singulier projet.
Enfin, un titre comme I Had to Leave termine de révéler ce que le compositeur a sous le capot. Commençant comme une simple ballade (osant même la guitare acoustique mielleuse), le morceau oscille entre différents style jusqu’à ce cliff final doté d’une instrumentation orchestrale qui rappellera sans aucun mal les plus belles heures des Daft Punk ou même d’un Woodkid. Une direction qu’on aimera clairement voir pour la suite même si pour l’instant cet insolent EP innocent (il suffit de regarder tout les titres qui font très blog de millénial) qui joue malgré tout avec nos émotions fait très bien son travail.
Ce qui pourrait devenir un énième projet électro sans saveur a clairement les épaules pour une destinée bien plus ambitieuses et en voyant qui est à la production on se doute bien que le côté jouissif sera toujours accompagné d’une mélancolie latente. Une cicatrice qui ne veut pas se résorber, car finalement les fins malheureuses ne sont peut être que des débuts heureux.
Kévin Mermin