« Can’t Wait to Be Fine » : l’impressionnante progression de We Hate You Please Die

On n’attendait pas une telle déflagration émotionnelle et politique que celle que nous offre We Hate You Please Die dans Can’t Wait to Be Fine, leur second album réjouissant, mais également complexe et ambitieux. Un groupe français majeur est né.

WHYPD
Photo : Lucie Marmiesse

Un point de vue mental, sentimental et politique :

We Hate You Please Die pourrait bien avoir un problème avec ce second album, après un accrocheur Kids are Lo-Fi, datant d’il y a déjà 3 ans, qui explosait littéralement sur scène, et après un petit EP pour nous faire patienter en pleine pandémie, qui valait surtout pour une chanson formidable, Coca Collapse (titre parfait, mélodie irrésistible, énergie inépuisable…) qu’on retrouve heureusement incluse ici : nos très chers Rouennais en colère risquent certainement de continuer d’être étiquetés punk rockers – car du punk rock, il y en a encore par mal ici – alors que ce disque témoigne qu’ils sont déjà bien plus loin. Leur progression est impressionnante, avec cet enchaînement de douze chansons qui s’imbriquent les unes dans les autres, qui partent dans toutes directions et se répondent pourtant naturellement, constituant ce qui pourrait facilement être considéré comme une longue narration, ou peut-être une longue… rumination : Can’t Wait to Be Fine n’est pas un concept album, puisque tous les rockers qui se respectent affectent de mépriser l’idée même du concept album… mais il y ressemble diablement…

WE-HATE-YOU-PLEASE-DIE-cant-wait-to-be-fineIl y a ici une véritable ambition, celle de faire un bilan sur le désastre que sont devenues nos vies, du point de vue mental (sur Barney, on entend : « Now everyone whisper they’re fine / Feed the worst and close their mind » – Maintenant, tout le monde murmure qu’il va bien / Nourrit le pire et ferme son esprit), sentimental (car oui, il y a ici forcément, comme dans tous bon disque de rock, des chansons d’amour et de désir) et, inévitablement… politique.

Oui, politique, au sens noble de terme, qui n’a rien à voir avec le grenouillage de nos chers politiciens élus ou souhaitant l’être. Le quatuor de We Hate You Please Die ne mâche plus ses mots : « Time to review some privileges that we have / How did you keep patience all this time ? / You know some directions and some reflections / About racism and all this crap / They say « ouais c’est la vie » / Now go fuck themself, It’s time to stop the patriarchy » (Il est temps de revoir certains de nos privilèges / Comment avez-vous fait preuve d’autant de patience pendant tout ce temps ? / Vous connaissez les pistes de réflexions / Sur le racisme et toutes ces conneries / Ils disent « ouais c’est la vie » / Maintenant qu’ils aillent se faire foutre, il est temps d’arrêter le patriarcat), sur Vanishing Patience, pose parfaitement le décor. Il y a tant de choses révoltantes en 2021, pandémie ou pas pandémie, qu’on ne peut plus prétendre faire du Rock sans s’engager dans les combats qui importent : contre le renfermement sur soi, contre les idées d’extrême-droite qui montent, contre le racisme qui se décomplexe, contre la masculinité toxique qui tue de plus en plus de femmes chaque année.

Sincérité et ironie :

Rappelons en passant qu’il y a autour du nom du groupe un malentendu, qui quelque part nous réjouit : « We Hate You Please Die » n’est pas – ou du moins pas frontalement – un appel à la violence, mais une référence de geeks à Scott Pilgrim. C’est donc une combinaison bien venue de colère véritable, profonde, et d’auto-dérision, un mélange de sincérité totale avec suffisamment d’ironie pour ne pas tomber dans le simplisme du militantisme bien-pensant.

Même si la voix principale du groupe est celle de Raphaël, avec ce goût qu’on lui connaît désormais pour l’emphase parodique, ou tout au moins théâtrale, les incursions vocales féminines et le dialogue qui s’établit alors, enrichissent une musique qui ne se contente plus de la rage ou du plaisir immédiats. Par exemple, si une grande partie de DSM-VI pourrait avoir été composée et jouée par les Buzzcocks, ce qui n’est pas un mince compliment de notre part, c’est sa partie centrale qui rend la chanson singulière, cette ouverture « féminine » sur d’autre possibilités musicales : oui, c’est ce genre d’idées, faisant déraper l’évidence de l’agression sonique vers quelque chose d’autre, qui rend cet album bien plus intéressant qu’une simple éjaculation punk.

« Ça va ? »

WHYPD
Photo : Olivier Gamas

Can’t Wait to Be Fine est un album qui est tout sauf monomaniaque, entre énergie joyeuse et doutes existentiels : par moments, comme sur l’introduction polymorphe de Exhausted + Adhd, on se souvient d’avoir traité WHYPD de IDLES français ; à d’autres, on goûte une sorte d’humour désespéré qui rappelle celui de nos chers Art Brut. Sur Otterlove, sous leadership féminin, on frôle le Power Pop, alors que sur le terrible Exorcise, que l’on aurait très envie de reconnaître comme le sommet de l’album, on se brise finalement les os contre un mur du son terrifiant. Chloé y règle les comptes douloureux de tant de jeunes femmes dévastées : « He was my friend but abused me this night / And I remember everything don’t deny / I was sleeping next to you / When I woke up you were on me / My heart stopped beating / Could not believe it / I lost my friends when I told them / Even my boyfriend didn!t believed me / I was young and traumatized / Even the cops didn’t believed me / Justice will never be done/ And you were always be laughing somewhere » (Il était mon ami mais il a abusé de moi cette nuit-là / Et je me souviens de tout, ne le nie pas / Je dormais à côté de toi / Quand je me suis réveillée, tu étais sur moi / Mon cœur a cessé de battre / Je ne pouvais pas le croire / J’ai perdu mes amis quand je leur ai raconté / Même mon petit ami ne m’a pas crue / J’étais jeune et traumatisée / Même les flics ne m’ont pas crue / Justice ne sera jamais rendue / Et toi, tu riais toujours quelque part). Et au milieu de ce déluge sonique, les victimes se transforment finalement en menaces physiques pour leurs bourreaux. Et c’est beau.

Mais le dernier mot qu’on entendra, à la toute fin de la superbe explosion de Can’t Wait To Be Fine, la chanson, c’est un simple « ça va ? ». Une question toute simple, et pourtant essentielle aujourd’hui. En 1967, Jim Morrison pouvait hurler : « We Want the World and we Want it NOW !! », et l’avenir semblait appartenir à la jeunesse. En 2021, alors que notre monde est devenu une immense décharge à ordures filant à toute allure vers le grand crash final, la question se réduit donc à celle de notre santé, de notre équilibre… mental. Une question, qui comme le titre de la chanson, et de l’album, le dit sans ambiguïté, ne peut plus attendre.

« We want to be fine / Please start to be fine » (Nous voulons aller bien / S’il te plait commence à aller bien »

Eric Debarnot

We Hate You Please Die – Can’t Wait to Be Fine
Label : Ideal Crash
Date de sortie : 18 juin 2021

[Interview] We Hate You Please Die : “Arrêter d’attendre et vivre maintenant !”