Sortie d’une intégrale des très drôles et parfois touchants petits récits de Guy Delisle sur les difficultés – et les récompenses aussi – d’une paternité « responsable ».
Quand j’ai reçu pour la fête des pères l’intégrale du Guide du Mauvais Père de Guy Delisle, j’ai immédiatement vu deux possibilités : soit il s’agissait d’un message (pas si) caché de la part de ma fille, soit au contraire d’une reconnaissance que je n’irais pas me vexer pour autant, puisque je suis un « bon papa ». Alors, j’ai évité de trop y penser, et je me suis plongé dans les quelques 300 pages de cette intégrale des 4 tomes publiés entre 2012 et 2018…
… Attendez, est-ce qu’il n’y a pas un problème, là ? Quatre fois 190 planches, comment est-ce que ça peut donner 304 planches dans une édition intégrale ? Eh bien, c’est simple, pour ne pas faire exploser la taille du livre et son prix par la même occasion, l’éditeur a choisi de réduire la taille des dessins. Ce qui pose quand même un autre problème, c’est que la lisibilité s’en trouve méchamment réduite, et que c’est quand même un combat pour voir tous les petits détails drôles, sans même parler de déchiffrer le texte. Du coup, la lecture du Guide du Mauvais Père se révèle épuisante, ce qui gâche quand même un peu le plaisir !
Bon, cet aspect technique malheureux évacué, il faut bien reconnaître que ce livre peut figurer parmi les tout meilleurs de Delisle, tant par la pertinence et la finesse des observations quotidiennes transcrites ici, que par l’honnêteté avec laquelle l’auteur reconnaît et met en scène ses propres « déficiences » en tant que père. Une honnêteté qui fait que le lecteur n’a guère d’autre solution que de se reconnaître lui-même dans un grand nombre (la plupart ?) des situations ici évoquées.
De l’intro sur l’argent de la dent tombée que la petite souris a oublié de laisser sous l’oreiller (deux soirs de suite quand même !) à une conclusion magnifique, qui laissera plus que probablement tous les pères (et les mères) les larmes aux yeux à la sortie du terrible « Tunnel of Life », voici une multitude d’occasions de rire avec Delisle, de Delisle, et sans doute surtout de nous-mêmes, de nos « sacrifices » pour nos enfants, comme de ceux que nous n’avons finalement pas faits : car qui n’a pas un jour traité ses enfants avec négligence, avec hauteur, avec irritation, avec… égoïsme aussi (car pourquoi faudrait-il leur laisser dévorer toutes les choses que nous aimons et nous priver pour eux, après tout ?) ? Qui ne l’a pas ensuite horriblement regretté, et ne s’est pas traité intérieurement de monstre, de… mauvais père / mauvaise mère ?
Si l’on peut regretter çà et là un dessin qui aurait pu être plus soigné, plus riche, on n’a rien à reprocher par contre à ces courts récits qui font la part belle à l’auto-dérision, mais qui sont une peinture lucide de la paternité. Finalement, après nous avoir fait bien rire, les strips de Delisle nous rassurent un peu aussi : nous aurions pu faire bien pire encore. Et finalement, nos enfants se sont sortis à peu près indemnes de leur vie avec nous, non ?
Eric Debarnot