Avec « Les 2 Alfred« , Bruno Podalydès capte l’air du temps de notre société connectée pour en saisir les incongruités. Une fable contemporaine pleine de fraîcheur et de timidité.
L’air du temps est toujours un sujet fécond pour le satiriste : regarder son époque, en saisir les incongruités, y déceler une tendance conduit tout naturellement à un festival de travers dont on pourra faire matière à comédie.
Dans son nouvel opus, Bruno Podalydes s’attache ainsi à la start-up nation, cette évolution du monde du travail par laquelle on transforme les open-spaces en « espace de co-working », sorte d’usines à idées aux allures de salles de jeu pour adulescents, agencées comme dans des revues d’architecture intérieure.
Le choc des cultures fera donc son œuvre lorsque le personnage de Denis Podalydes y prend ses quartiers, lui qui doit à tout prix trouver un emploi pour garder sa femme partie réfléchir dans son sous-marin pendant qu’il garde les enfants.
Le monde à croquer est donc riche de toutes ces absurdités par lesquelles il se prend très au sérieux, un jargon anglais incompréhensible, une pression diffuse cachée derrière des jarres de bombecs et des galettes des rois, et une idolâtrie pour les nouvelles technologies.
En parallèle, la rencontre avec un compagnon d’infortune (Bruno Podalydès lui-même) prend à bras le corps l’ubérisation du monde du travail : auto entrepreneur aux mille tâches, il se transforme en esclave moderne, sans horaires, la ville devenant une sorte de tapis de chaîne infini où il doit ramasser les drones aux batteries vides, promener les vieux, déposer des enfants à la crèche comme récupérer les invendus et, ironie ultime, manifester pour les autres.
L’intrigue, relativement mince, jouera donc de la politique de la nouvelle boîte interdisant les enfants, et occasionnant son lot de situation insolubles. La rencontre avec la supérieure (Sandrine Kiberlain, toujours aussi à l’aise chez les frangins) va composer un trio malhabile et solidaire pour conduire à une résolution bien plus mignonne qu’acerbe.
Car dans cette fable contemporaine, le monde semble être vu autant du point de vue des employés qu’à hauteur des enfants : avec une certaine fraîcheur, voire une timidité qui permet de maintenir à distance ces nouvelles tendances déguisant la violence sourde du monde du travail. Le comique un peu désuet et la clarté de la mise en scène (dans les couleurs, mais aussi une organisation impeccable des cadres) établissent une atmosphère dans laquelle la révolte prend des voies de traverse. La petite compagnie s’adapte, râle un peu, mais joue le jeu jusqu’à y intégrer ses propres règles, sans haine, ni arme, ni violence. À l’image du regard de Podalydès, poète trublion qui poursuit sa traversée d’un monde dans lequel il laisse un sillage inoffensif (le même que celui du kayak dans Comme un avion) et, par là-même, militant.
Sergent Pepper