A l’heure où la série Lupin fait un carton sur Netflix, les éditions Rue de Sèvres en profitent pour publier l’intégrale d’une trilogie consacrée à l’adolescence « non officielle » du personnage mythique, avant qu’il ne devienne le « Prince des voleurs ».
Si chacun connaît le célèbre gentleman cambrioleur, sans même avoir lu les romans de Maurice Leblanc, peu ont connaissance de son passé. Arsène Lupin, qui n’est pas né avec une cuillère en argent dans la bouche, a dû se livrer à un véritable parcours du combattant avant de construire sa légende. C’est du moins ce qu’ont imaginé les auteurs de cette trilogie originale parue il y a cinq ans.
Maurice Leblanc a toujours fait mystère des origines de son personnage. La vie « connue » de Lupin ne commence réellement qu’à l’âge de ses 19 ans, où il eut une aventure avec une jeune femme qui donnera naissance à Geneviève un an plus tard. Avant cela, on ne sait rien de lui. En 2012, les droits d’auteur tombant dans le domaine public, la tentation était trop grande. Les auteurs de cette trilogie, que l’on imagine aisément admirateurs de l’œuvre de Leblanc, ont donc sauté sur l’occasion pour combler ce vide insupportable ! Et ils n’ont pas fait les choses à moitié !
Tout en conservant de rares caractéristiques du personnage (son goût pour les sports de combat notamment), les scénaristes ont créé une toute nouvelle galerie de personnages, sans aucune référence à la « bio » connue du « Prince des voleurs », Même Théophraste, ce père absent, est devenu ici un simple ami, son « professeur de savate », dont le seul point commun est d’être mort aussi ! L’histoire démarre en 1888, au bagne pour enfants de Belle-Île-en-mer, où Arsène n’a que quatorze ans et se termine cinq ans plus tard, au moment où ce dernier est emprisonné, ce qui coïncide avec la première aventure du héros de Maurice Leblanc… Entretemps, on assiste au parcours initiatique du jeune homme après son évasion du bagne et son adoption par le comte Perceval de la Marche. Arsène recevra une éducation élitiste dans un pensionnat austère et isolé des Alpes, la Croix des Whals, où il deviendra un homme complet, intellectuellement et physiquement.
La question que l’on peut se poser c’est de savoir si Maurice Leblanc aurait apprécié ces digressions, d’autant que l’on peut relever quelques incohérences dans la chronologie (en 1893, Lupin a 17 ans, alors que Leblanc le fait naître en 1874). Pourtant, qu’on la juge crédible ou non, force est de reconnaître que cette trilogie est plutôt captivante et se lit d’une traite, grâce au suspense et au romanesque irrigant le récit. On apprécie par ailleurs cette ambiance fin XIXe, empreinte d’un mystère gothico-ésotérique (très à la mode), avec en toile de fond une rivalité ancestrale opposant des ordres millénaires, qui se résume par une lutte un peu simpliste entre le bien et le mal…
Le dessin de Christophe Gaultier ne se veut pas parfait et c’est ce qu’on apprécie. Cela permet avant tout d’éviter un académisme trop léché propre à ce genre de production. Pourtant, ce côté artisanal, sans en avoir l’air, est très étudié, avec une esthétique qui lui est propre, et nous dispense des tares d’un trait purement amateuriste. Sa lisibilité est excellente et les personnages se différencient parfaitement, ce qui n’est pas forcément le cas avec des œuvres visuellement plus « pros ».
Globalement, Arsène Lupin, les origines est susceptible de diviser, et les puristes voueront vraisemblablement la trilogie aux gémonies, si ce n’est déjà fait. Les autres rétorqueront que le « bébé » vit sa propre vie et n’appartient plus à Maurice Leblanc, et qu’après tout, les auteurs ne font que maintenir vivant un mythe de la littérature française, dont la notoriété dépasse largement les frontières. A l’instar de la série Netflix qui cartonne actuellement dans beaucoup de pays. Les seuls à ne pas s’en réjouir seront peut-être les habitants de la petite bourgade d’Etretat, préoccupés à l’idée d’un envahissement prochain des hordes de touristes venus du monde entier, par ce qu’on pourrait appeler l’effet « Da Vinci Code ».
Laurent Proudhon