C’était donc samedi soir la dernière manche du Tremplin de Rock & Folk Radio que le Supersonic hébergeait sur la Terrasse du Trabendo, avec quatre groupes finalistes, auxquels se sont rajoutés au dernier moment les invités surprise de We Hate You Please Die. Immanquable !
Rock’n’roll Marathon :
C’est avec un peu d’hésitation que nous nous sommes rendus à 19h à la Terrasse du Trabendo, pour la finale du Tremplin de Rock & Folk Radio, tant l’idée d’enchaîner autant de sets à la suite, avec des groupes que nous ne connaissions pas ou pas assez – mis à part les étonnants Cheap Teen – nous paraissait épuisante à l’avance. Mais voilà, c’est We Hate You Please Die qui a été rajouté au dernier moment au programme et qui va conclure la soirée : avec un album de la trempe de Can’t Wait to Be Fine à défendre, on ne pouvait s’attendre qu’au meilleur…
Bon, on nous explique d’emblée les règles du jeu : chaque groupe a 30 minutes pour nous convaincre, ensuite on vote par SMS, etc. On se dit que, du coup, ce sera le groupe qui aura ramené le plus de monde avec lui qui gagnera, et pas forcément le plus talentueux. A la fin, on découvrira que les votes du public ne comptent qu’à 50% et que le reste des voix est donnée par un jury…
Code tremplin1 par SMS :
20h : Le Tremplin commence avec Orange Signal, un jeune groupe de Lyon. La famille et les amis sont bien là pour soutenir, et il règne une ambiance bon enfant bien sympathique. Sur scène, avec trois guitares, ces jeunes gens la jouent plutôt classic rock US, ce qui change finalement agréablement des influences habituelles de la scène Rock actuelle. Tout n’est pas encore très carré chez Orange Signal, et les meilleurs moments de leur set seront finalement les moins « électriques » : un Some Rest qui propose une alternance bien vue de moments calmes et d’accélérations, ou un New Beginning, chanté à quatre voix, avec l’aide d’une seule guitare acoustique… A noter que tout cela est bien chanté, ce qui confirme que le jeune Rock français a vaincu son problème endémique d’absence de vrais chanteurs (même s’il a fallu pour ça passer à l’anglais…). Avec un peu plus de maturité, tout cela pourrait devenir intéressant…
« Fuck this Country, fuck this Nation ! » :
20h55 : Depuis la dernière fois qu’on les a vus, au même endroit il y a presque un an, en première partie de Bandit Bandit, Cheap Teen a encore fait de beaux progrès : leur garage punk a gagné en originalité, en maturité aussi : avec plus de syncopes, plus de dissonances, plus de rythmes dansants aussi, même s’il reste heureusement plein de larsens, de distorsion et de coups de colère. Le chanteur-guitariste est toujours très intense, très absorbé dans sa musique, et son parlé-chanté est très efficace. Mais Cheap Teen n’est pas que cérébral, il offre toujours de belles accélérations qui soulèvent l’enthousiasme dans la fosse (magnifiques moments de folie sur Down by the Castle, par exemple). « Fuck this country, fuck this nation ! » : Right Now nous a été présentée comme une chanson d’amour, mais le chanteur vient se confronter au premier rang avec une détermination impressionnante. Sur No Future, il entre dans le moshpit porté par les danseurs : punk un jour, punk toujours… Follow Me conclut le set dans une frénésie totale et avec un sentiment d’apocalypse sonore. Notre verdict : Cheap Teen va être difficile à battre, ce soir…
Problème de guitare… :
21h45 : On change radicalement de registre avec FIGURZ, un trio de Montpellier à l’excellente réputation. La configuration du groupe est inhabituelle : deux guitares et une batterie. Curieusement, par rapport à leur bel album, Another Kid Comedy, le côté pop / Arctic Monkeys (à cause du chant qui évoque la voix d’Alex Tuner) disparaît largement en faveur d’une ambiance un peu « stoner » : Pearl, en intro, nous emporte bien, mais dès la seconde chanson, Smuggler, le chanteur a un problème de guitare, qui oblige ses acolytes à nous faire patienter sans lui… Ironique, si on a bien compris que la maison Gibson a prêté ses guitares (mais on se trompe peut-être…) : il devra finalement en emprunter une à Luc de Orange Signal, mais la dynamique du set est cassée, avec une petite dizaine de minutes de passage à vide, avant que FIGURZ reprenne le dessus et puisse terminer son morceau. Mustang, un morceau qui sonne très heavy, relance la machine : ça tape dur et les deux guitares font maintenant des merveilles. June, plus lent, permet d’apprécier la maîtrise des musiciens, vraiment remarquable. Le dernier morceau, Matchers, démarre un parfait générique de fin d’un roadmovie US, avant un passage lourd et une montée en puissance finale avec une explosion de riffs. Malheureusement, sans doute à cause du problème technique du début, voilà un set qui a manqué un peu d’âme, et ne semble d’ailleurs pas avoir captivé le public plus que ça. En tout cas, c’est un groupe original, déjà en pleine maîtrise de son style, qu’il nous faudra revoir très vite…
« J’aperçois l’arc-en-ciel, il est si réel… » :
22h45 : Bilbao Kung-Fu, c’est vraiment autre chose. D’abord, on se dit que ces jeunes gens sont bien barrés dans leur tête : avec un look qui semble sorti des « Bronzés » (… même si le t-shirt Sonic Youth du batteur aurait dû nous servir d’avertissement), des paroles en français plutôt simples (« J’aperçois l’Arc-en-Ciel / Il est si réel… ». Second degré ?), mais le tout joué avec une puissance de feu tétanisante. Les deux guitares font un bordel d’enfer et la Terrasse du Trabendo explose littéralement. Tout le monde braille en chœur : « J’aperçois l’arc en ciel ! », et je me rends compte qu’on peut envoyer balader le second degré, il y a une force de conviction incroyable dans cette musique. Les solos nous déchirent les tympans, prévoir des méga acouphènes pour demain. Les passages instrumentaux ne peuvent qu’être qualifiées de pure folie furieuse. Le final du set est littéralement à se taper la tête contre les murs et à se déchirer les cordes vocales. Bilbao Kung-Fu vient de Bordeaux, et ces garçons ont inventé quelque chose d’encore inconnu : une osmose entre Motörhead et les Ramones, dans un esprit Bérurier Noir qui chanterait les hymnes populaires de Téléphone, mais de retour dans les années 70, quand on jouait encore du Rock Psyché avec une conviction qui n’avait pas été usée. Ou bien, je ne sais pas, quelque chose d’autre qui n’a absolument rien à voir avec cette description stupide. Il va falloir explorer ça, et très vite ! Je plains le groupe qui va devoir jouer après Bilbao Kung-Fu…
Ce sentiment de vie… :
23h35 : … sauf que ce n’est pas n’importe quel groupe qui vient ensuite, c’est We Hate You Please Die ! Du coup, il n’y a pas à s’en faire, le charisme et l’énergie stupéfiante de Raphaël, la puissance de feu du groupe, et la qualité des nouvelles chansons vont faire des miracles, une fois encore.
Il y a d’abord la minute d’intro progressive de Exhausted pour que Raphaël retrouve ses marques, après une année sans concert (« Le dernier vrai concert qu’on a joué, c’était ici, l’année dernière, et c’était de la folie. Il y en a eu un autre après, mais les gens étaient assis, je n’ai pas trop aimé » – Raphaël fait allusion à un court set à la Seine Musicale début octobre 2020…), et aussi pour que nous, nous nous préparions, et puis… la furie WHYPD se déverse. Et le public devient fou, à nouveau : au premier rang, les barrières sont à deux doigts de céder sous la pression, qui ne va d’ailleurs pas baisser un seul instant durant les 55 minutes du set !
Les titres de Can’t Wait to Be fine se succèdent, l’album sera joué dans sa quasi-intégralité, et on peut vérifier que ce renouvellement de la setlist propulse le groupe en avant… même si l’énergie punk est toujours bien là. Au bout de trois ou quatre morceaux, Raphaël, qui donne toujours de sa personne sans mesurer ses efforts, semble déjà physiquement éprouvé, mais il en plaisante : « Bah, c’est pas comme le vélo, en fait… Et d’ailleurs j’aurais peut-être dû en faire, du vélo, pendant tous ces mois… ». Mais il repart à l’assaut du public. Car Raphaël va faire quatre ou cinq incursions dans le moshpit (quatre ou cinq ? Au bout d’un moment, on ne les compte plus !), jouissant clairement de la frénésie générale, de ce sentiment de vie, d’intensité que procurent les concerts. Ce sentiment qui nous a tellement manqué pendant ces longs mois de privation.
Musicalement, le groupe est toujours terrible, d’ailleurs par moment, on se demande comment fait Joseph avec sa seule guitare pour construire un tel mur du son ! Barney est magnifique, mais c’est quand même Melancholic Rain, l’une des rares chansons survivantes du premier album, qui fait complètement basculer le public dans une extase indescriptible. Et puis Raphaël annonce : « Cette chanson-là, c’est celle que nous jouerons si un jour on nous invite à l’Elysée ! ». We Hate You Please Die, puissante, et assez bouleversante aussi quand Raphël fait chanter tour à tour les personnes du premier rang. D’ailleurs, Raphaël semble très ému ce soir, et ce n’est pas seulement, on le jurerait, un effet de son goût – et de son talent – pour une certaine théâtralité.
On enchaîne par une excellente cover de Bad Girls, de M.I.A., puis vient le trio gagnant de la soirée : Coca Collapse, grande chanson punk, DSM-VI, avec son beau refrain pop qui nous fait penser à chaque fois aux Buzzcocks (un refrain que Rafaël savoure visiblement…), et enfin le majestueux, car totalement désespéré et pourtant rempli d’espoir Can’t Wait to Be Fine.
Et c’est fini. Il est minuit et demi, et nous venons de prendre une sacrée dose de rock’n’roll !
… And the winner is… :
On nous annonce que c’est Cheap Teen qui a gagné le Tremplin, ce qui n’est que justice, vu la qualité des chansons du groupe et leur excellence scénique… même si la prestation de Bilbao Kung-Fu, répétons-le, aura été elle aussi exceptionnelle.
Il est temps de quitter les amis avec lesquels nous avons dansé, hurlé… vécu en fait à nouveau un peu de notre belle « vie d’avant » pendant plus de quatre heures, temps de féliciter les gagnants du Tremplin, forcément très heureux. Et temps de rentrer chez nous essayer de dormir, ce qui ne sera pas facile après une telle excitation. Can’t Wait to Be Fine ? Don’t Wait to be Fine !
Texte : Eric Debarnot
Photos : Christophe Duru et Eric Debarnot