Jolie petite réussite à la modestie sympathique, et porté par un casting de choix, Comment Je Suis Devenu Super-Héros est un polar français « populaire » qui mérite mieux qu’une sortie discrète sur Netflix. Mais quel public vise-t-il ?
Il y a fort à parier qu’une bonne majorité de geeks ou de simples jeunes fans des maisons Marvel et DC Comics vont se gausser – sans le regarder – d’un film français de « super-héros ». A l’autre extrémité du spectre de la population cinéphile française, on verra certainement nombre de grincheux déplorer que la culture populaire US soit tellement globale désormais que les réalisateurs français « sérieux » ne trouvent rien d’autre à filmer que des histoires de monstres / « surhommes » en costumes ridicules. Permettons-nous d’affirmer cette fois que tous ont tort, et que Comment Je Suis Devenu Super-Héros de Douglas Attal est un film certes modeste, mais original et très plaisant, qui aurait mérité de ne pas être confiné à une sortie presque honteuse sur Netflix.
Comment Je Suis Devenu Super-Héros est d’abord un roman du sociologue – aux travaux parfois polémiques – Gérald Bronner, ce qui n’est pas sans importance ici, tant l’aspect le plus passionnant du scénario du film est l’inscription des super-pouvoirs comme une caractéristique « normale » dans la société française uchronique ici décrite, et surtout la manière dont ceux-ci se trouveraient « phagocytés » par les travers humains que nous connaissons malheureusement trop bien. En ce sens, et même en tenant compte de moyens financiers bien plus réduits, Comment Je Suis Devenu Super-Héros n’est pas si loin que ça de The Boys, la série provocatrice d’Amazon, mais avec des ambitions moindres : pas de dénonciation du capitalisme, de la bigoterie réactionnaire ou de la violence fondamentale de la culture US, mais plutôt un rappel de phénomènes endémiques, depuis l’appétence créative des organisations criminelles pour tout ce qui peut constituer une source de trafic et donc de revenus aux difficultés de réinsertion des petits criminels dans un contexte de racisme rampant.
Comment Je Suis Devenu Super-Héros nous raconte donc l’enquête d’un duo de flics spécialisés dans la criminalité des « surhommes », un policier au bout du rouleau marqué par une « faute passée » que nous découvrirons au cours du film, et une jeune et brillante inspectrice excédée par le laxisme de son collègue. Des incendies criminels éclatant dans Paris, ils vont se retrouver sur la piste de trafiquants sans scrupules, aidés dans leur tâche en particulier par un ex-super héros en retraite anticipée pour cause de Parkinson… Du classique (trop classique ?) avec un mélange quasi sans risque de « buddy movie » et de thriller vaguement social. Beaucoup d’humour, un peu d’action bien brutale – avec ce réalisme dans la violence qui tranche si agréablement avec les excès de spectaculaire US – et quelques effets spéciaux (pas trop pour tenir compte du budget !), principalement concentrés dans la toute dernière partie du film, un peu plus convenue dans sa manière de régler les conflits par un baston général. Par rapport à la noirceur générale du ton, teintée parfois d’un léger cynisme, on pourra déplorer un happy end final téléphoné, mais aussi, l’inévitable suggestion que l’on pourrait être ici au début d’une « franchise »… certainement peu souhaitable !
Si la réalisation de Douglas Attal, dont c’est le premier long-métrage, est efficace mais ne brille pas particulièrement, on regrettera le choix du scénario d’aller parfois trop vite : il est rare qu’on se plaigne de ça, mais il manque une quinzaine de minutes au film pour boucler tous les sujets ouverts, et aussi pour éviter quelques à-coups narratifs un peu brutaux. Mais, finalement, si l’on accepte que l’on est ici dans du « polar populaire », et pas dans du cinéma d’auteur (pour ça, il faut revoir l’étonnant Vincent n’a pas d’écailles, qui est, n’en déplaise à la publicité Netflix, le vrai premier film français sur les super-pouvoirs…), et qu’on suit fidèlement les codes du genre, ce sont les acteurs qui font de Comment Je Suis Devenu Super-Héros un bon moment de plaisir : Pio Marmaï, Vimala Pons (qu’on retrouve avec un immense bonheur) et Benoît Poelvoorde constituent un trio de choc, complètement dévoué au film, et dont nous apprécierons chacune des répliques.
Bref, une petite réussite, aux ambitions certes modestes, mais finalement supérieure à nombre de films populaires français sortant, eux, en salle.
Eric Debarnot