On entend souvent dire que Wolf Alice est le grand espoir du Rock Indie, sorte de groupe-bilan des décennies passées, dominant son sujet comme peu. Et Blue Weekend confirme complètement cette maîtrise… mais est-ce suffisant pour nous passionner ?
Pour le dire de manière polie, notre rapport à la musique de Wolf Alice est pour le moins ambivalent. Ce groupe anglais fort estimé par la critique en général est l’un des rares à s’inscrire encore dans une tradition Rock Indie à la fois populaire et « de haut niveau artistique », se positionnant comme LE GROUPE de festivals comparable à nul autre (et bientôt LE GROUPE de stade, bien évidemment), avec un don indéniable pour combiner une sophistication presque « prog rock » avec des explosions de colère noisy-grunge. Mais d’un autre côté, nous avons toujours trouvé impossible de reconnaître dès la première écoute une chanson de Wolf Alice, tant cette musique est indiscernable : un carrefour d’influences diverses, certes maîtrisées et assimilées, mais qui finissent par brouiller la perception que l’on a de ce qui pourrait les caractériser. Un groupe sans personnalité, affirmons-nous dans nos moments de dédain envers une musique aussi bien faite ; un groupe aux multiples personnalités, excellant qui plus est dans tout ce qu’il fait, corrigerons-nous lorsqu’un semblant de bienveillance nous revient…
Et Blue Weekend, clairement voulu comme par Ellie Roswell et ses hommes comme l’album de la consécration, ne va pas arranger les choses. Car il est à la fois excellent – rempli de bonnes chansons, magnifiquement jouées et chantées (l’indéniable point fort de Wolf Alice, la voix de leur chanteuse…), somptueusement produites – et finalement… vaguement anodin ! Derrière toute cette emphase superlative digne d’une époque où il faut être un superhéros ou une superhéroïne pour régner sur les charts et les cœurs des ados, on a régulièrement du mal à trouver un cœur qui batte… Prenons par exemple le colossal The Last Man on Earth, une chanson positionnée pour être le sommet de l’album, qui brocarde d’ailleurs de belle manière l’égocentrisme masculin (« Who were you to ask for anything more? Do you wait for your dancing lessons to be sent from God? You’d like His light to shine on you, You’ve really missed a trick when it comes to love », soit « Qui étais-tu pour demander quelque chose de plus ? Attendais-tu que tes leçons de danse te soient envoyées par Dieu ? Tu aimerais que sa lumière brille sur toi, Tu as vraiment raté un truc quand il s’agit d’aimer… ») : elle semble revisiter en quatre minutes et vingt et une secondes toute une partie de l’histoire du Rock, en tutoie parfois le meilleur, mais il sera impossible d’affirmer qu’il s’agisse d’une chanson qui puisse changer quoi que ce soit dans notre vie, à la différence de toutes celles qui l’on inspirée…
Blue Weekend commence de manière à la fois intrigante et impressionnante, avec un The Beach en forme d’entrée en montée en puissance, c’est simple, efficace, convaincant, et ça nous laisse espérer un album majeur… Mais, dès Delicious Things avec ses pics d’intensité lyrique et ses envols alternant avec ses moments d’intimité vaguement frémissante, on comprend que le principe de Wolf Alice sera de couvrir systématiquement tout le terrain de l’émotion. De mettre toutes les chances de son côté pour que Blue Weekend soit qualifié d’album important, voire de chef d’œuvre.
Si l’on n’a jamais pu considérer Wolf Alice comme un groupe véritablement brutal, force est d’admettre que l’on est plus du côté de la subtilité et de la maîtrise d’une Kate Bush que de l’énergie des rockeuses teigneuses de l’histoire, comme sur un Lipstick On the Grass très prog rock. Même le combattif Smile, avec son riff nerveux, ses guitares qui tonnent et son récité très hip hop, s’enrichit (?) de passages vaporeux confirmant que Rowsell a dépassé ses ambitions initiales de dominer commercialement l’unique domaine du Rock Indie qui tape fort. Et lorsque la violence – et la rage ? – monte d’un cran sur Play the Greatest Hits, il n’est pas certain qu’on en sorte particulièrement convaincu : finalement, le punk rock pur et dur ne correspond plus très bien à un groupe qui mise désormais sur la complexité, le lyrisme et la sophistication.
« No hard feelings, honey / There’ll be no bad blood / Losing your love has been hard enough / Life can be short but life can be sweet / No hard feelings, honey / The next time we meet » (Sans rancune, chéri / Il n’y aura pas de rancœur de ma part / Perdre ton amour a été déjà assez dur / La vie peut être courte mais la vie peut être douce / Sans rancune, chéri / La prochaine fois que nous nous rencontrerons ») : la maturité émotionnelle dont témoigne No Hard Feelings, soutenue par un plus grand dépouillement musical, indique une piste intéressante pour un quatrième album qui pourrait être « plus près de l’os ».
Mais tout ça va dépendre du succès que va rencontrer Blue Weekend. On en reparlera donc dans un an.
Eric Debarnot