Témoignage essentiel sur les atroces erreurs de l’administration Bush et film médiocre, The Mauritanian nous divise. Et c’est l’interprétation remarquable de Tahar Rahim qui nous réconciliera, forcément…
En 2001, quelques semaines seulement après le drame du 11 septembre, la sinistre équipe Bush – Rumsfeld (qui vient de mourir tranquillement dans son lit sans avoir jamais été inquiété pour ses forfaits…) crée le camp de Guantanamo, basé à Cuba, hors de toute atteinte de la justice US. Plus de 700 personnes y seront incarcérées, sans jugement, ni même inculpation. Des « aveux » seront obtenus grâce aux méthodes les plus brutales et les plus sophistiquées de torture. Il faudra des années pour que la justice puisse enfin avoir accès à ces prisonniers et pour qu’un semblant de processus judiciaire puisse être entamé. Pour ne produire au final qu’un nombre ridiculement limité de condamnations. Guantanamo est d’ailleurs toujours en opération, malgré les promesses d’Obama. On peut sans hésitation dire que Guantanamo a été la seule « victoire » de Ben Laden et ses sbires, et que ce sont les Américains qui ont eux-mêmes sacrifié les valeurs les plus essentielles de leur nation, à la recherche d’une pure vengeance, d’ailleurs totalement illusoire.
Rien d’étonnant qu’Hollywood produise un film polémique sur le sujet, tant on connaît la capacité du cinéma US à traiter les sujets politiques ou sociaux avec courage, avec lucidité (on aimerait en dire autant du cinéma européen, mais on en est encore loin). The Mauritanian (oublions le titre français de Désigné Coupable, regrettable et incompréhensible) raconte l’histoire de Mohamedou Ould Slahi, livré aux USA par les autorités de son pays, et resté emprisonné pendant 10 ans sans inculpation : dénoncé par un terroriste soumis à la torture, il sera lui-même victime de sévices abominables. Grâce à l’action d’avocats pugnaces, il finira par être libéré, après avoir passé 14 ans détenu… pour rien. The Mauritanian est un film indispensable, puisqu’il nous oblige, nous Occidentaux, traumatisés à juste titre par les exactions des djihadistes, à regarder en face les conséquences quand nous nous laissons aller à la haine au lieu de rester fidèles à nos lois et à nos principes. Mais The Mauritanian est-il un bon film pour autant ?
L’honnêteté nous pousse à répondre que non, même s’il est largement sauvé par l’interprétation de Tahar Rahim, qui trouve ici son meilleur rôle, et qui est une excellente raison de passer deux heures dix dans une salle obscure à regarder un film accumulant les poncifs les plus usés et accablant son spectateur des habituels mécanismes de chantage émotionnel, depuis l’inévitable accroche « tiré d’une histoire vraie » jusqu’à la non moins inévitable conclusion avec un générique final nous présentant les « véritables protagonistes » de ce drame abominable, sans doute histoire que nous validions le choix des acteurs choisis pour les interpréter.
Oui, Rahim exsude ici littéralement une sorte de lumière (que les croyants parmi nous qualifieront aisément de « divine ») qui le hisse bien au-dessus du film : un réalisateur plus inspiré, un véritable réalisateur a-t-on envie de dire, aurait perçu ce miracle, et aurait réduit son film à une heure trente consacrée uniquement à regarder Slahi / Rahim dans son travail quotidien, obstiné, et finalement inarrêtable, de survie. Et dans la manière dont il transmute sa souffrance et sa révolte en pardon, en une sorte d’humble – mais irrésistible – message de paix : offrant par la même la meilleure réponse possible aussi bien à la barbarie des terroristes qu’à l’inhumanité des bourreaux états-uniens.
Malheureusement, le documentariste écossais Kevin Macdonald n’a jamais eu la moindre étoffe de cinéaste, n’a jamais réalisé un seul film réellement intéressant (même s’il a eu la chance de bénéficier de grands acteurs comme Forest Whitaker dans le Dernier Roi d’Ecosse). Il préfère aligner ici les scènes évidentes à impact maximum sur le spectateur, répétant ad lib des choses vues et revues dans une ribambelle de films « de procès » ou de films politiques. Cumberbatch n’est clairement pas mauvais (mais peut-il l’être, de toute manière ?) dans un rôle qui permet de racheter à peu de frais l’honneur de l’armée US, mais Jodie Foster fait du Jodie Foster millésimé sans se forcer le moins du monde, tandis que Shailene Woodley est complètement à la ramasse, aussi dépassée par la grosse machine du film que son personnage semble l’avoir été dans l’histoire.
The Mauritanian est donc un film paradoxal, sans grand intérêt cinématographique, sans surprise ni dans son sujet ni dans sa forme, voire insultant notre intelligence de par son accumulation de procédés caricaturaux et de scènes prévisibles. Mais c’est aussi un film qu’il ne faut pas manquer, pour se souvenir des erreurs tragiques qui furent commises dans le sillage du 11 septembre. Et aussi pour pouvoir témoigner de ce qu’est une grande interprétation.
Eric Debarnot