A partir d’un sujet riche et passionnant, le passage du temps et ce qu’il fait de nous, Shyamalan nous offre avec Old une demi-réussite (ou un demi-échec), qui reste heureusement suffisamment passionnant pour ne pas trop décevoir les aficionados que nous sommes…
Flashback : on est en 1999, même pas encore le 21è siècle et le Sixième Sens vient de sidérer la planète entière avec son scénario malin et son twist final qui – malheureusement – inaugure l’ère des twists « à outrance ». Rappelons pour mémoire que même l’ours Maurice Pialat, qui avait pourtant la dent dure, avait déclaré à l’époque avoir été bluffé par le film. M Night Shyamalan, retrouvant le style consensuel de Steven Spielberg, mais le mettant au service de films « high concepts » était la nouvelle star du cinéma populaire. Mais la roche tarpéienne n’étant jamais loin du Capitole, ce succès disproportionné allait entraîner un sérieux coup de bâton, et critique et public allaient rapidement se détourner de l’idole : même si ses films suivants maintenaient un très haut niveau (Incassable, le chef d’œuvre à date de sa filmographie, The Village en magnifique description de la paranoïa créée par les néo-cons…), rien ne pouvait arrêter a chute du golden boy, qui en arriva de lui-même à une démission totale de ses ambitions. Depuis le reboot de sa carrière avec le film à tout petit budget The Visit, et les très satisfaisants Split et Glass, sans retrouver son aura d’autant, Shyamaman compte à nouveau, et est redevenu l’un des « auteurs » (car, sans aucun doute, il en est un…) dont on attend chaque nouveau film avec impatience.
Alors, Old ? Tout là-haut au panthéon ou dans la liste des ratages du maîtres ? Ni l’un, ni l’autre, en fait. Le récit, très anxiogène et inspiré de la BD Château de Sable de Pierre-Oscar Lévy et Frederik Peeters, se concentre durant la majeure partie du film sur ce qui arrive à un groupe hétérogène littéralement captif d’une plage paradisiaque où le temps file à toute allure. Du côté positif, on a donc un concept remarquable sur le vieillissement accéléré (« Personne ne sortira de là vivant » est sans doute le commentaire le plus pertinent qu’on puisse faire sur la Vie, non ?), des acteurs crédibles (Gael García Bernal et Rufus Sewell, entre autres), et aussi quelques éclairs de grande mise en scène qui rappelleront les fulgurances passées… Et pas de twist, dieu merci ! Du côté négatif, une conclusion sur mode « complotiste » au goût du jour, mais on n’en dira pas plus, car certains spectateurs apprécieront peut-être ce point de vue critique sur notre société et sur le vieux principe du « Greater Good », même si, à notre vie, le film aurait gagné à rester totalement « pur », et de ne jamais sortir de « la plage ».
Le scénario de Shyamalan a la cruauté de nous confronter à certains de nos pires cauchemars – la dégénérescence physique et mentale, déjà source d’horreur dans The Visit –, et l’intelligence de revisiter une nouvelle fois une thématique typique de l’auteur, celle de l’enfermement (comme dans The Village ou Signs) en prenant en compte les dysfonctionnements d’actualité du « confinement », et donc en en inversant radicalement – au moins en apparence – les paramètres : finalement, ce n’est plus le monde extérieur qui est hostile, mais au contraire la cellule familiale formée par les prisonniers, qui porte en elle tous les germes de la maladie et de la décomposition. Bref, et même si Shyamalan use ça et là de grossièretés indignes de son cinéma, histoire de confirmer qu’on reste quand même ici dans le « genre du film d’horreur », il reste chez lui, et amplement, de quoi se mettre sous la dent, même dans une demi-réussite.
Les meilleurs moments du film, qui aident à avaler les moins bons, sont ceux durant lesquels Shyamalan accepte de filmer les aspects les plus simples, les plus banalement « psychologiques » de son sujet : si le temps passe, et vite, il guérit autant qu’il détruit, et à la fin, la paix, sœur de l’oubli et du pardon, est toujours possible.
PS : La réponse est « Missouri Breaks ».
Eric Debarnot