Si elle ne révolutionne aucunement un genre horrifique auquel elle adhère de manière assez studieuse, la trilogie Fear Street a toutefois suffisamment d’aspects originaux et de thèmes pertinents pour qu’on accepte de se prendre au jeu.
Fear Street un projet assez original pour qu’on s’y intéresse, et qu’on ne l’écarte pas avec mépris comme une nième « niaiserie Netflix à l’attention des adolescents décérébrés ». D’abord parce que Leigh Janiak, réalisatrice jusque-là confinée aux séries TV, a structuré son histoire, tirée de la série de livres pour jeunes adultes à succès de R.L. Stine (qui a débuté dans les années 90, rappelons-le), sous le format d’une trilogie de « vrais films » plutôt que de se conformer au schéma actuel des mini-séries de 8 ou 10 épisodes. Les trois films ayant été mis en ligne par Netfix à peu près simultanément, il est d’ailleurs logique de les considérer comme un seul film de cinq heures et demie : le découpage, justifié par les titres, le long d’un parcours temporel à rebours, de 1994 à 1666, en passant par 1978, est d’ailleurs assez artificiel, puisqu’il s’agit réellement d’une seule et même histoire, le dernier volume revenant d’ailleurs en 1994 pour la résolution finale de l’énigme.
On parle ici d’une sorcière ayant jeté une malédiction sur une ville tout entière, après avoir été pendue en 1666, malédiction produisant régulièrement des « serial killers » responsables d’hécatombes qui suivent les codes désormais bien épuisés du genre : de Halloween à Vendredi 13, on revisite sans trop de surprise les « classiques », en y prenant, selon ses goûts, beaucoup ou peu de plaisir, mais en admirant néanmoins le premier degré, le sérieux de la réalisation. On est loin des films de petits malins dans le genre Scream, et Leigh Janaiak prend clairement son sujet au sérieux, et, même si sa mise en scène suit fidèlement les règles établies, même si les raccourcis et les incohérences scénaristiques ne manquent malheureusement pas, cette absence de recul est assez revigorante.
On peut même évacuer la comparaison pourtant évidente avec Stranger Things – même si la présence de Saddie Sink (Max dans Stranger Things) renforce l’impression de parenté -, car Fear Street ne travail que peu les références nostalgiques qui ont constitué le point de départ de la série des Duffer Bros. C’est seulement à la musique qu’est confié le soin de dater l’action, avec des citations régulières d’œuvres cultes : du The Man Who Sold the World de Bowie à un final très convaincant composé de Gigantic et Mr Grieves des Pixies, en passant par l’emblématique Don’t Fear the Reaper du Blue Öyster Cult, le fan de Rock des années 90 et 70 a largement de quoi se réjouir (et aussi rager parce que beaucoup d’extraits sont vraiment trop courts pour être autre chose que de simples marqueurs temporels…).
https://youtu.be/mloK9zAAd3E
Derrière les scènes désormais « classiques », mais toujours efficaces, d’ados massacrés à l’arme blanche ou de possession diabolique, il est intéressant de souligner deux thèmes qui distinguent Fear Street du tout-venant des films d’horreur habituels. D’abord la focalisation de l’histoire sur une histoire d’amour homosexuel qui, au-delà de « l’effet de mode », permet à Janaiak de revenir dans le troisième volet à rappeler un fait désormais confirmé : la multiplication dans l’Amérique naissante des procès pour sorcellerie, menée par des leaders puritains, bigots mais surtout profondément intolérants et machistes, a été un effort délibéré d’empêcher la femme d’atteindre la place qu’elle méritait au sein de cette société naissante. L’équation « femme indépendante » (y compris sexuellement, surtout sexuellement) de l’homme = sorcière a prévalu pendant longtemps dans la civilisation chrétienne, et le troisième film de la série, Fear Street: 1666, de loin le meilleur des trois, constitue un rappel efficace de cette triste réalité.
L’autre thème intéressant de Fear Street, certes un peu moins développé car sans doute encore trop peu acceptable dans les Etats-Unis d’aujourd’hui, est l’existence d’une société à deux vitesses : sur la fondation de la petite ville de Union, deux cités se sont développées à des vitesses et des conditions bien différentes. D’un côté, Sunnydale, paradis banlieusard WASP où rien ne manque, et d’un autre, juste à côté, Shadyside, à la population plus « mélangée », où quelque réussite professionnelle que ce soit est inenvisageable, et où le Rêve Américain semble de moins en moins atteignable : qualité inférieure des infrastructures, manque de moyens, mais surtout perte complète de l’estime de soi chez les plus jeunes, conduisant à la drogue et à la criminalité. Ainsi, deux des héros de l’épisode 1994 sont des trafiquants de drogues, et même si l’on déplorera qu’ils soient les premières victimes des monstres, on prend bien soin de rappeler que leur trafic étaient justifiés comme le seul moyen de faire vivre leur famille, ce qui n’est pas si courant dans les fictions populaires états-uniennes…
On comprendra que, au-delà de sa fonction, parfaitement assumée, de shocker / thriller, Fear Street a des choses à dire, et ne manque donc pas d’atout pour se distinguer du tout-venant des productions actuelles pour adolescents, ne serait-ce d’ailleurs que la qualité générale de son interprétation, avec en premier lieu l’excellente Kiana Madeira (d’ailleurs bien plus âgée que son rôle !) qu’on espère revoir très vite dans du cinéma plus « adulte »…
Eric Debarnot