Popularisé notamment par sa chanson Tuyo utilisée au générique de la série Narcos, le brésilien Rodrigo Amarante a choisi de prendre son temps pour peaufiner son second disque en solo, l’irradiant Drama qui vient confirmer tout le bien que l’on avait pensé de Cavalo en 2014.
Je ne sais pas vous mais de mon côté, pendant longtemps j’ai eu un rapport compliqué avec les musiques latines n’en percevant que la dimension festive. Il faut dire que pour un individu dont les oreilles ont été tout d’abord éduquées aux sons froids de la Cold Wave puis au Rock Indé, le Brésil, la Colombie ou encore le Mexique étaient pour moi des « terra incognita ». Comme nombre d’entre nous, je méprisais un peu ces musiques-là, n’y entendant qu’une musique rythmique propre au Carnaval et rien de plus. C’est vrai que contrairement à la Country qui a su trouvé des connaisseurs dans les générations qui ont suivi et qui ont su nous ouvrir à ces sons, le Jazz latino, la Cumbia ou encore la Bossa Nova n’ont jamais trouvé d’ambassadeurs dans le Rock d’ici.
Je ne suis donc arrivé aux musiques latines que tardivement en y entrant presque sur la pointe des pieds, un peu en imposteur. Je n’en comprenais pas vraiment les codes au départ, j’ai choisi des chemins parallèles, les latin crooners, les groupes de musique électronique qui s’inspiraient de la Cumbia, les mélodies arrache-cœur de Violeta Parra puis lentement je me suis constitué un « réseau » qui courait de Carlinhos Brown à Stan Getz en passant par Lenine ou Tom Zé. Plus je piochais dans la musique de Milton Nascimento ou de Gilberto Gil, plus je prenais conscience qu’avec ce genre-là c’était l’exploration d’un continent absolument inconnu qui s’offrait à moi. Il aura fallu quelques disques-clés comme des combinaisons qui ouvrent des coffres comme Beauty (1990) ou Casa (2001)de Ryuichi Sakamoto pour mieux comprendre ces sonorités. Les travaux de l’excellent label Frémeaux et Associés m’auront permis de mieux appréhender encore ce patrimoine qui court du Mento au Merenge mais aussi à toutes les musiques caribéennes.
Le brésilien Rodrigo Amarante se tient au milieu d’un continent musical comme une possible passerelle entre la Pop européenne et la Bossa Nova brésilienne. Suffisamment ouvert à la sono mondiale, il échafaude un folk qui doit autant au Rock qu’à la tradition de son pays natal.
Rodrigo Amarante aurait pu profiter du coup de projecteur que lui a offert sa participation au générique de la géniale série Narcos pour booster sa carrière. Plutôt que de se précipiter, il a choisi de prendre son temps et de donner du temps supplémentaire de macération à ses chansons. Il faut dire que le monsieur n’est pas un perdreau de l’année dans son pays natal. Bien qu’âgé de seulement 44 ans, Rodrigo Amarante a déjà une belle carrière en groupe derrière lui avec Los Hermanos, Orquesta Imperial ou encore sa collaboration avec Fabrizio Moretti des Strokes au sein de Little Joy. Il n’est arrivé que sur le tard en solo avec le remarqué Cavalo en 2014. Sept années séparent son premier album de Drama et l’on comprend pourquoi à l’écoute de ce disque qui, à la fois, rabat les cartes de son jeu tout en respectant le postulat de début sur Cavalo. On retrouve la même voix imparfaite mais chaleureuse, ce messager humain qui alterne anglais et portugais.
Ne venez pas chercher chez Rodrigo Amarante des velléités World Music ou des dimensions couleur locale en mode carte postale, des clichés vaguement éculées, une nonchalance oiseuse. Drama est éminemment citadin et cosmopolite, il fait des allers-retours entre passé, présent et futur, il navigue à vue entre Europe des capitales, marches de migrants forcés et ports des tropiques. On pensera parfois au Dennis Wilson de Pacific Ocean Blue (1977), on entendra quelques échos de Thoughts Of You du Beach Boys sur le sublime The End.
Rodrigo Amarante aime jouer des contraires comme sur le morceau instrumental qui donne son nom à l’album, un Drama cerné par les rires d’un public. Il se plait à introduire des ruptures dans les structures de ses chansons pouvant alterner vire voltage et moments d’apaisement; folk apatride puis affirmation d’un exotisme, douceur ou colère. Rodrigo Amarante se joue de nous dans un tropicalisme soyeux sur un Tango que l’on verrait bien repris par notre Philippe Katerine national. Sur Tara, par contre, il jette un œil dans le rétroviseur pour retrouver une Bossa des années 60 pour mieux se dissiper dans un Tanto aux fortes sonorités Jazz. I Can’t Wait, quant à lui, tente la symbiose entre blues et tropique, porté par la voix nonchalante de Rodrigo Amarante, la mélodie nous enserre dans une forme d’urgence atone. Tao montre cette science qu’a Rodrigo Amarante à installer une dramaturgie toute en tension tout au long d’un morceau changeant. S’appuyant sur des musiciens hors-pair, le brésilien insuffle une énergie communicative à sa musique, quelque chose qui relève de l’engagement physique. Sky Beneath est sans aucun doute symbolique de cet art consommé de la rupture, s’appuyant au départ sur des rythmes presque tribaux, il finit en hymne presque tucsonien quand Eu Com Vocé prolonge les travaux entamés par Milton Nascimento.
Un peu par hasard Rodrigo Amarante est né au Brésil, comme dit l’autre on naît tous quelque part mais Rodrigo Amarante n’est pas seulement un musicien brésilien, c’est un mondialiste, un internationaliste au bon sens du mot, un habitant du monde dans lequel il vit, sa musique en est la traduction. Une traduction chaleureuse, humaine et sincère.
Greg Bod
Rodrigo Amarante – Drama
Label : Polyvinyl Records
Sortie le 16 juillet 2021