Le canadien Brian Borcherdt revient avec le troisième album de son projet Dusted, un univers hanté, entre folk et élucubrations expérimentales douces portées par une voix en falsetto. Un style qui n’est pas sans rappeler le premier Bon Iver. A la fois vibrant et passionnant.
Il y a quelque chose de sourd dans la musique de Brian Borcherdt. Etrange me direz-vous pour un musicien ? Vous n’aurez pas tort mais ce qualificatif de sourd a quelque chose de plus cotonneux, de protecteur, de presqu’utérin. Ces sons perçus dans le creux d’un refuge, comme la pluie que l’on entend tomber au dehors alors que l’on est à l’abri bien au chaud. Il y a aussi quelque chose de bucolique dans les chansons de Dusted mais un bucolique étrange, un peu comme celui croisé dans le Twin Peaks de David Lynch, une nature sauvage, pas vraiment domptée, un peu ombrageuse.
III est ce que l’on peut appeler sans trop se tromper un disque miraculeux, de ces disques dont on sait dès la première écoute qu’ils vont nous accompagner longtemps, dès la première note, dès le premier mot, dès la première chanson, dès le premier frisson. Pour un peu replacer notre propos, imaginez pour un instant ce que donnerait une rencontre entre le Low Roar de Ryan Karazija et le Bon Iver de Justin Vernon période For Emma Forever Ago (2008) et vous aurez une petite idée de ce peut procurer en termes de frissons Dusted, le projet de Brian Borcherdt, déjà repéré au sein de Holy Fuck ou de Burnt Black.
On entendra également un peu de Six Organs Of Admittance… sans doute que le rapprochement est possible entre Ben Chasny et Brian Borcherdt dans cette capacité qu’ont les deux artistes à spatialiser le Lo-Fi, à y intégrer de l’organique et du temps qui passe. Il y a des chances pour que les personnes habituées à l’univers cloisonné de Holy Fuck soient surprises par cette ouverture nouvelle dans la musique du canadien, sauf que la claustrophobie reste présente de manière ténue certes mais présente quand même.
III nous enserre dans son coton, nous submerge et nous enveloppe, il endort nos sens comme une suite de berceuses viciées. La voix de Brian Borcherdt occupe tout le terrain et s’impose dans ce territoire du chant plaintif, de la complainte. Souvent dans un registre minimal, ses compositions doivent beaucoup à ce jeu avec le silence et l’espace. On y perçoit la présence ressuscité d’un Vic Chestnutt, la noirceur lumineuse d’un Silver Mount Zion, les arrangements dignes d’un S. Carey et le chant expressif d’un David Pajo (Papa M). III est un disque de prise de risque, de mise en danger où Brian Borcherdt et Dusted laissent en évidence les ossatures fragiles des mélodies, où le canadien assume totalement une certaine forme de transparence par rapport aux défauts ou aux faiblesses des chansons mais en se posant ainsi, Dusted n’en est que plus bouleversant comme sur le sublime Recovery Cone.
En jouant ainsi sur l’épure et le dépouillement, Brian Borcherdt malaxe les contrastes comme le somptueux Palmer le prouve. Plus le disque avance et plus on grimpe vers des sommets de perfection. Il faut un petit temps d’adaptation peut-être pour s’acclimater à tant de splendeur à faire pâlir d’envie les Fleet Foxes. Il y a dans la musique de Dusted et en particulier dans le titre inaugural Not Offering un je ne sais quoi d’Americana Shoegaze, on pensera parfois aux premiers Chris Isaak, à My Morning Jacket. Les chansons de Dusted sont décharnées, osseuses et squelettiques mais elles ont aussi du corps, une âme, une présence, une singularité, une attraction que rien ne peut réfréner, une attraction avec une addition des contraires, un son rêche qui participe d’une douceur, une étrangeté qui illustre une familiarité, une approximation qui touche à la perfection, une hantise qui rappelle la vie. A la fois de l’ordre de la catharsis comme de celui de la caresse, la musique de Dusted ne nous interpelle pas, elle dialogue avec nous. On ne saisit pas toujours bien ce qu’elle nous dit mais on sait confusément qu’elle ne s’adresse qu’à nous et seulement nous.
III, ce disque de Dusted fait partie de ces petits disques appelés à devenir des essentiels, des indispensables, des vitaux, ces disques que l’on ne partage pas de peur de les voir abimés, salis ou détruits. Ne dit-on pas que c’est toujours sur des ruines que l’on construit des fondations nouvelles ?
Et si III était la braise fumante d’un grand feu en devenir ?
Greg Bod