Plus qu’un simple polar dont il s’approprie les codes et les mécanismes, La loi de Téhéran, adoubé par William Friedkin en personne, se révèle un véritable brûlot social contre les institutions et la déliquescence morale établies au cœur de la république des Mollahs.
Iran. Un pays au bord du gouffre. Un pays rongé par la pauvreté et la drogue. Exit les mosquées et palais majestueux, les senteurs de rose à Ispahan ou à Chiraz, et l’âme des poètes anciens. Saeed Roustaee dresse une autre réalité de son pays. Dévoile l’envers du décor. Celle d’une nation où 6,5 millions de personnes consomment du crack, soit un peu plus de 12% de la population totale. Et où la sanction pour possession de drogue est la même, que l’on ait 30g pour sa consommation ou 50kg pour faire affaire : la mort au bout d’une corde. Les rues et boulevards se remplissent de toxicomanes sans-abris tandis que les prisons se surchargent. Policiers et juges arrêtent et condamnent à tour de bras : enfants, pères et mères de famille, miséreux, mafieux, et même handicapés. Pas de chichi, pas de quartier.
C’est dans ce contexte sous haute tension que vont s’affronter un flic pugnace aux méthodes expéditives (Payman Maadi, vu beaucoup chez Asghar Farhadi) et un gros bonnet du trafic de drogue (Navid Mohammadzadeh, intense) qui vient d’être arrêté. Car si le film démarre en trombe avec ses allures de thriller haletant, Roustaee en modifie rapidement la narration pour se concentrer (et s’enliser quelque peu, parfois) sur un long face-à-face psychologique puis judiciaire. L’idée c’est d’observer, de dénoncer et de décortiquer jusqu’à l’os l’inhumanité, et surtout l’échec patent, d’un système seulement, aveuglément répressif. «Pour faire cesser le développement de la drogue, la solution n’est pas la répression, mais la prévention. La répression a beau se renforcer, les trafiquants de drogue trouvent d’autres moyens pour produire leurs substances et les distribuer parmi les consommateurs», a expliqué Roustaee.
Son film fait fi de cette possible solution, et d’un possible espoir aussi (le plan final, terrible, où toute une société, littéralement, court à sa perte). Il est habité par la violence et hanté par la mort, issues inéluctables à une spirale infernale que les autorités ne peuvent ni contenir ni stopper : on trafique pour se sortir de la précarité (trafic engendrant lui-même de la précarité), on se drogue pour oublier cette précarité, ou pour oublier qu’on trafique et qu’on risque, à tout moment, la mort, on punit suspects ou flics sur simple déclaration, sur un simple mensonge, on court-circuite un trafiquant pour que des dizaines d’autres, derrière, prennent la relève… Plus qu’un simple polar dont il s’approprie les codes et les mécanismes, La loi de Téhéran se révèle un véritable brûlot social contre les institutions et la déliquescence morale établies au cœur de la république des Mollahs que Roustaee malmène, et le spectateur par la même occasion, sans complaisance.
Michaël Pigé