Les deux jumeaux Christoph & Anton Hochheim qui forment Always You signent un disque qui va puiser à tous les codes de l’histoire de la Pop. Bien plus qu’un exercice de style, Bloom Off The Rose décode tous les canons du genre avec brio.
Non, la Pop n’est pas née dans les années soixante avec l’émergence des Beatles. Non, la Pop n’est pas née du côté de la Perfide Albion. Non, la Pop est multiple et a connu et connaît encore différentes identités. Elle a su trouver son chemin dans le Ragtime d’un Fats Waller, elle a su s’unifier dans la Country d’un Woody Guthrie, elle a su se corrompre dans la Northern Soul anglaise pour mieux s’évaporer dans le Punk ou le Trip Hop. Si je vous demande de citer tout à tras quelques noms de grands créateurs, sans aucun doute, vous me citerez Sinatra, Paddy Mac Aloon et quelques autres. Et si comme tous les grands courants musicaux, la Pop n’avait cessé de faire des allers-retours entre les continents, principalement les Etats-Unis et l’Europe et plus précisément l’Angleterre ? Et si la France trop friande du mot et du texte savamment ciselé n’avait jamais été réellement une terre de Pop Culture ? Sans doute qu’en France, nous n’avons pas cette culture de l’Entertainment si chère aux anglo-saxons considérant la chanson comme un art mineur porté par des sujets majeurs quand la pop inverse le processus en considérant au contraire le songwriting comme un art majeur abordant des thèmes mineurs.
Il faudra un jour faire une histoire détaillée de la Pop, de ces échanges intercontinentaux, de combien la technologie a su faire évoluer ce langage du peuple. On peut à coup sûr parler de deux écoles bien distinctes, l’école américaine et l’école anglaise. Les deux ne cessant de poursuivre leur évolution, Les américains puisant aussi bien dans leurs racines européennes que dans l’apport de l’émigration afro-américaine. Les européens dans les différents folklores et en réaction aux musiques dites savantes et bourgeoises. Aussi étrange que cela puisse paraître, les deux frères jumeaux Christoph & Anton Hochheim qui constituent Always You, natifs de Los Angeles, font une forme de bascule permanente entre les continents, perpétuant par là-même un héritage ancien. Bien sûr Bloom Off The Rose a des sonorités assurément anglaises mais les deux musiciens que l’on sent éminemment cultivés s’amusent à brouiller les pistes. Les jumeaux ne sont pas des inconnus ayant participé aux éphémères mais brillants The Pains of Being Pure at Heart. Ils ont ensuite entamé une carrière solo sous l’entité Ablebody en 2013, en changeant le nom du groupe pour Always You, ils modifient également leur identité sonore pour une exploration d’une Pop protéiforme.
Il y a des chances que si vous vous amusez à poser au hasard votre doigt sur les pages d’un dictionnaire de la pop, vous retrouviez certains de ces ingrédients sur Bloom Off The Rose. Pourtant, jamais le disque n’est uniquement un exercice de style ou l’énumération de recettes éprouvées. Ce disque esquive tous les pièges, les frères Hochmeim se posant là en mélodistes hors-pair. Les références sont présentes mais plus comme des clins d’œil ou des indications de jeux sibyllins d’un metteur en scène malicieux, rien n’est trop appuyé ou trop affirmé. Bien sûr, on comprend combien le Steve MacQueen de Prefab Sprout et du génie Paddy Mac Aloon a été d’une influence majeure sur tous les musiciens privilégiant la ligne claire dans leur processus créatif mais chez Always You, on trouve aussi le Prefab Sprout à la production à la Thomas Dolby période Jordan The Comeback, exemple la voix triturée en conclusion de Black City Nights comme un sourire au King Of Rock’n Roll. Comme Paddy Mac Aloon, le duo exprime un mal être sur des mélodies suaves. Il raconte les gens déboussolés et vaincus, une description vivante des longues nuits sans sommeil, de la chasse aux fantômes du passé et de l’avenir, des paris perdus et de l’optimisme aveugle que la prochaine grande chance est juste au coin de la rue. Il s’agit de la solitude et de ce que les gens font pour y échapper, ainsi que de l’espoir qui nous pousse à persévérer.
Bloom Off The Rose n’est jamais un pastiche, il est rétrograde dans le bon sens du terme s’appuyant sur des claviers aux sonorités Eighties, Always You s’amuse du désuet et du rétro, allant parfois chercher jusque du côté de l’école Crooner ou encore des Torch Singers. Hold Out a quelques accointances avec un vieux standard Jazz avec ce piano qui swingue à contre-courant des modes et du temps présent. Rio De Janeiro n’a aucune sonorité brésilienne mais joue avec le soleil quand All I Wanted Was You rappelle le David Bowie de Black Tie White Noise, disque un peu mal aimé de l’anglais sans doute à redécouvrir. Have It Your Way joue à fond la carte mélancolie Eighties jusque dans les sons de clavier mais là où l’on comprend que Bloom Off The Rose est bel et bien un disque de 2021 c’est dans la production de la voix au centre de la mélodie quand elle était toujours en arrière dans les années 80.
Mais assurément, ce que Bloom Off The Rose a d’éminemment Pop Eighties c’est cette capacité à unir mélancolie et danse. Il suffit d’écouter cette petite merveille d’équilibre délicat qu’est Here We Are pour s’en convaincre. On en vient presque à regretter cette frange de musiciens que l’on méprisait à l’époque, ces garçons coiffeurs, ces néo-romantiques gominés qui un jour avaient eu des penchants Cold Wave avant de comprendre que s’ils voulaient connaître un autre train de vie, il allait falloir mettre un peu de guimauve dans leurs mélodies. La guimauve n’est jamais loin chez Always You mais elle est mise à distance respectueuse, les deux sachant faire preuve d’un beau recul. Dans leurs chansons les plus downtempo, ils rappellent les excellents norvégiens de Fra Lippo Lippi de Small Mercies (1983).
Les deux américains s’amusent avec le Kitsch le temps de Sanguine Charade qu’Andy Partridge d’XTC aurait pu imaginer. Crimson Red étend une mélancolie soyeuse quand She’s My Kind Of Girl et sa trompette convoquent un air de Soul qui retrouverait un Morrissey pubère. En conclusion, Edendale pas si lointain de The Apartments période A Life Full of Farewells nous enchante et ne provoque qu’une seule envie, se remettre à l’écoute de ce Bloom Off The Rose absolument divin. En terme de pertinence, de cohérence, de respect distancié des vieilles références, on ne pourra guère trouver comme un exemple récent que le Kaputt (2011) de Destroyer sauf que contrairement à Daniel Bejar qui s’amuse avec des gimmicks, les deux frères s’appuient sur des codes pour créer un son nouveau.
Ecouter Bloom Off The Rose, c’est retrouver le goût des plaisirs simples, une simplicité qui étrangement ne s’interdit jamais une part de sophistication. Always You ou le goût des forces tranquilles, de la perpétuation d’un héritage et de sa circulation.
Car la Pop bouge encore, car quand on bouge, on est mouvement, quand on est en mouvement, on est en vie.
Greg Bod