Si les routes de l’exil sont de plus en plus empruntées en notre XXIe siècle riche en tragédies, Exil, la BD de Fabuel et Minguez, nous rappelle opportunément que nous sommes nombreux à descendre de ces hommes et ces femmes courageux qui ont dû fuir, malgré eux, leur pays déchiré par la guerre.
Alors que les Occidentaux voient avec crainte les réfugiés fuir des guerres meurtrières ou des régimes criminels et tenter de reconstruire une vie dans des conditions décentes, il n’est pas inutile de se souvenir que l’Europe, il n’y a pas très longtemps, fut le théâtre de drames identiques, et que nombre d’entre nous sommes les enfants et les petits-enfants de « migrants » tout-à-fait semblables à ceux que nombre de nos politiciens extrémistes veulent rejeter en dehors de nos frontières.
Fuyant la guerre civile espagnole, puis les crimes des milices franquistes, et plus tard encore les décisions expéditives de la « justice » du Caudillo, des milliers de républicains et leurs familles se trouvèrent contraints de se réfugier – pour la grande majorité d’entre eux contre leur gré – de l’autre côté des Pyrénées… en France, où ils ne furent pas accueillis à bras ouverts par un régime qui allait rapidement pactiser avec les nazis. Ils furent jetés dans des camps de fortune, comme celui, célèbre, d’Argelès, qui devinrent ensuite des camps permanents… et servirent d’ailleurs au fil du temps pour parquer honteusement diverses vagues de migration.
Exil ressort dans une nouvelle édition augmentée d’un cahier graphique et comportant quelques modifications – assez mineures – visant à une plus grande (encore) vérité historique, mais est une BD datant à l’origine de 2013, qui fut créée par Henri Fabuel et Jean-Marie Minguez, descendants d’immigrés espagnols : à partir du désir de préserver la mémoire de leur famille, avant que le temps qui efface tout n’ait fait son œuvre, Exil nous narre le périple, d’abord en forme d’aller-retour, puis de départ définitif, de Francisco, chassé de son village andalou par le putsch fasciste, combattant le franquisme, contraint de fuir encore suite à la chute de Barcelone en 1939, tentant de survivre sur les routes périlleuses de son pays livré à la guerre civile, puis maltraité par les « structures d’accueil » françaises…
Alternant des scènes très dures de guerre et d’exactions (en reconnaissant que du côté républicain, tout le monde ne se comporta pas non plus de manière angélique…), et des moments de quasi-sérénité, en particulier quand Francisco, blessé, bénéficie de l’aide d’une jeune femme à laquelle il s’attachera malgré son amour pour sa famille restée en Andalousie, Exil peut certes rappeler le fameux La Nueve de Paco Roca, sur un sujet similaire. Néanmoins, Exil a moins le désir de nous conter l’Histoire, la grande, que La Nueve, et tient plus du travail de mémoire individuelle que collective, tout en évitant les pièges du romanesque qui pouvait décrédibiliser parfois l’œuvre ambitieuse de Roca.
Si certains passages d’Exil peuvent être confus, en particulier du fait de personnages pas toujours facilement identifiables, c’est grâce à sa dernière partie, la plus belle, la plus prenante, qui décrit la tentative impossible de revenir en Andalousie, et ses conséquences tragiques qui mèneront à un exil cette fois définitif en France, que Fabuel et Minguez nous convainquent le plus : en rattachant ces sombres épisodes du passé à la vitalité d’une famille qui ne s’est pas désunie, et dont ils sont les continuateurs, ils nous transmettent un message d’espoir, un message fort qui se doit de résonner en notre époque troublée par la méfiance, la crainte vis-à-vis de « l’Autre ».
En exil – dans cet exil qui peut être demain le lot de chacun d’entre nous – l’essentiel est de ne pas être seul.
Eric Debarnot