Le jeune texan Vincent Neil Emerson signe avec son second disque une collection de chansons intemporelles prolongeant le chemin entamé par Townes Van Zandt. Un disque de Country pure qui sent le cactus, les grands espaces et les rednecks. Sans être novateur, sa musique est réjouissante, rafraichissante et parfois bouleversante.
Il est parfois difficile de comprendre l’attraction que provoque la Country sur nos lointains voisins américains, à lui-seul, il est un genre essentiel dans la culture américaine, parfois à la limite du mode de vie. Il nous est parfois ardu d’écouter un disque de pure Country sans tomber dans le piège d’un ethnocentrisme un peu rance, dans des clichés faciles (Musique de plouc, Texas, cowboys, etc…), le genre de clichés que l’on ne supporte pas dans les films américains sur le français forcément affublé de son béret basque et de sa baguette. Fort heureusement, des musiciens en filtrant la Country à travers des prismes Rock’N’Roll nous ont ouvert les oreilles, De Crosby Still Nash And Young en passant par Mark Linkous, Lee Hazlewood ou Bill Callahan, ils ont su nous faire dépasser les visions faciles autour de ce genre presque nationaliste ou régionaliste, assurément identitaire.
Pas sur qu’avant cette éducation musicale, nos oreilles auraient apprécié à sa juste valeur ce second album éponyme du jeune texan Vincent Neil Emerson tant la musique de l’américain s’inscrit dans une forme d’académisme et de respect d’un patrimoine. On retrouve ici tout ce que l’on attend d’un disque de Country traditionnelle, une voix trainante, un violon aux vieux accents européens, une guitare qui chante l’errance et le déracinement. Il sera difficile de ne pas associer le jeune musicien de 29 ans aux travaux de son aîné Townes Van Zandt. Vincent Neil Emerson est né dans le même comté de l’est du Texas que l’auteur de Kathleen. Elevé à la dur par sa mère célibataire d’origine Apache, le jeune garçon découvre un peu par hasard la musique de Townes Van Zandt, sa vie en sera métamorphosée à jamais. C’est étrange de voir comme un musicien comme Townes Van Zandt conserve une force d’attraction auprès de jeunes musiciens, il suffit pour s’en convaincre de se rappeler du français Baptiste Walker Hamon qui n’a jamais caché son admiration pour l’œuvre de l’américain.
Vincent Neil Emerson se rappelle en ses termes de sa découverte de Townes Van Zandt : »Entendre un gars de Fort Worth dire ce genre de choses et faire ces chansons m’a ouvert les yeux. Je n’avais jamais entendu de chansons de ce genre auparavant. »
De Van Zandt, Vincent Neil Emerson a conservé une science de la frontalité dans le propos, de la concision également, ce qui permet à une poésie du quotidien d’émerger de ses chansons au classicisme marqué. Déjà sur Fried Chicken and Evil Women (2019), son premier album, on pouvait constater chez lui une envie de raconter des histoires simplement, sans fioritures ni trop point de lyrisme. Comme Van Zandt, Vincent Neil Emerson cultive une certaine vulnérabilité, d’ailleurs la cultive-t-il vraiment ? « A-t-on le choix de ce que l’on est ? » semble-t-il nous dire à chaque instant. On imagine aisément les deux marchant du même pas dans cette vieille ville fantôme de Dido où la dépouille de Van Zandt est inhumée. Ce second disque composé essentiellement durant la crise sanitaire liée au COVID 19 ressemble un peu à une ouverture de vanne émotionnelle comme si lentement son auteur en décidant d’appeler son disque de son seul nom affirmait quelque chose à travers ce choix. Quelque chose comme « J’habite ces chansons, elles me racontent, écoutez-les si vous le souhaitez, peu importe« . La frontalité reste là mais une émotion affleure également, Vincent Neil Emerson s’immerge plus dans ses chansons et devient le personnage principal de ces complaintes.
I spend my whole life wondering why I’m down
I don’t feel easy if the blues don’t come around
and my face don’t look right without a frown
Well, if you can’t swim, you better learn to drownVincent Neil Emerson – Extrait de Learnin’ To Drown
Prenez Learnin’ To Drown qui évoque le suicide de son père ou High On Gettin’ By qui chante la résilience et vous aurez une idée de ce que peut être ce disque de lâcher-prise, on en vient presqu’à préférer la qualité de ses paroles à sa musique un peu prévisible dans ses ingrédients. Le disque alterne des cartes postales autour de la vie au Texas avec des chansons plus personnelles, souvent poignantes. Ne reste plus qu’à Vincent Neil Emerson de se délester du superflu et on tiendra sans aucun doute avec lui un compositeur majeur de chansons inconfortables autour d’un mal-être, d’un blues universel.
On s’attardera plus sur ses coups d’éclat en attendant la grande œuvre que l’on sent en germe.
Greg Bod