Il en faut de la maladresse et du manque de talent pour gâcher nos moments de lecture « facile » au soleil : c’est pourtant ce que Bouzounie réussit à faire avec son Au Bout de la Nuit en accumulant à peu près toutes les tares possibles. Revue de détail…
Finalement, c’est un peu toujours pareil : quelques minutes avant de prendre son train ou son avion, on n’a jamais assez de temps pour choisir les polars qui feront notre été, allongés sur la plage ou bien dans un transat à l’ombre d’un chêne millénaire. Une fois choisis (ou éliminés) les auteurs les plus connus, ceux que l’on aime (ou que l’on déteste), on se réfère aux « bandeaux rouges », arme suprême des marketeurs pour faire vendre leur came au milieu des étalages trop bien achalandés (on ne s’en plaint pas, bien évidemment !) du kiosque de la gare ou de l’aéroport. Celui de Au Bout de la Nuit, polar à « l’intrigue machiavélique » (dixit le fameux bandeau), annonce qu’il a reçu le Grand Prix du Polar Femme Actuelle : naïvement, on espère un polar féminin, sinon féministe, qui nous change des codes quand même encore largement masculins / machos du genre. Et le bouquin rejoint nos autres achats d’impulsion dans notre sac à dos, à côté du flacon de crème solaire qui va le tacher pendant le voyage…
550 pages et quelques jours plus tard, la seule chose qu’on ait retenu de cette « expérience », c’est qu’il va quand falloir à l’avenir inclure dans la préparation indispensable à des vacances réussies un minimum de recherche sur les bons polars de l’été ! Car derrière un titre passe-partout, sans rapport avec le sujet, et passablement « racoleur », Bouzounie nous a infligé un récit littéralement interminable (250 pages auraient suffi, et largement…), construit sur un système de flashbacks manipulateurs, nourri à coup d’amnésie bien commode, basé sur une « énigme » absurde (abracadabrante aurait été un meilleur qualificatif que machiavélique), et peuplé de personnages sans consistance et sans aucune crédibilité psychologique.
Bouzounie a clairement étudié les livres à succès d’Harlan Coben, dont il s’est servi comme matrice pour son histoire : il s’agit, comme chez l’Américain, de retourner vers le passé, vers un secret familial enfoui qui va ressurgir et mettre à mal l’existence bien rangée de Damien, jeune inspecteur de la police bordelaise enquêtant sur des morceaux de corps féminins plantés dans divers endroits de la ville par un mystérieux chevalier. Pourquoi pas, en fait ? Les problèmes sont malheureusement légion : nous passerons sur le style ampoulé et scolaire de Bouzounie – les 30 premières pages, en particulier, fourmillent qu’expressions artificielles et d’usages étranges des mots -, et sur les descriptions de la bonne ville de Bordeaux, qui semblent avoir été suggérées par l’Office du Tourisme local ; nous serons nettement moins bienveillants quant à l’injection dans l’intrigue de thèmes additionnels sans grand rapport avec le sujet – comme la sorcellerie et les sociétés secrètes, qui ne sert à rien hormis à ajouter une touche de surnaturel bon marché -, ou à l’accumulation de clichés « érotiques » machistes et usés (l’antagoniste super-woman à la beauté surnaturelle, lesbienne et tuant les hommes qu’elle séduit, une call girl au QI redoutablement élevé pour une nuit torride ) qui placent le livre clairement dans la catégorie des fameux « polars de gare », mais de manière plus déplaisante qu’autre chose…
Mais c’est sans doute la conclusion qui, au-delà de son invraisemblance complète, achève de nous fâcher : le peu de « soufre » qui aurait pu subsister au terme de l’aventure de notre protagoniste – palot, voire franchement antipathique, ou au moins passablement irritant – est soigneusement nettoyé par une dernière révélation. Le happy end est garanti, la morale est sauve. Et Bouzounie, comme les futurs « gagnants du Grand Prix du Polar Femme Actuelle » définitivement éliminés de notre choix pour l’été prochain.
Eric Debarnot