Pour l’éternité prouve que Roy Andersson semble incapable de se renouveler, enfermant désormais (mais depuis longtemps en fait) son cinéma dans ses propos et ses tics visuels qui ne résonnent plus que dans le vide.
Ah, sacré Roy Andersson, réalisateur suédois de presque 80 ans qui nous fait et refait exactement le même film depuis Chansons du deuxième étage au début des années 2000 et dans lequel il inaugurait, pour la première fois sur grand écran, son style si singulier : une succession de plans fixes composés avec une méticulosité extrême tels des tableaux vivants, ou plutôt «morts-vivants», qui disent toute l’absurdité et toute la tristesse de nos sociétés modernes. Un peu comme un Wes Anderson dépressif aux couleurs passées, ternies par le temps. Style reconnaissable entre tous qu’il a su peaufiner pendant des années en réalisant des dizaines et des dizaines de publicités qui allèrent même jusqu’à impressionner Ingmar Bergman en personne.
Il y a eu Chansons du deuxième étage, puis Nous, les vivants, puis Un pigeon perché sur une branche philosophait sur l’existence qui composèrent, selon Andersson, la Trilogie vivante. Et aujourd’hui donc ce Pour l’éternité qui ne se distingue en rien de ses trois prédécesseurs. Que ce soit sur la forme comme dans le fond, Andersson aligne ses sempiternelles vignettes aux tons délavés où femmes et hommes sont invariablement blafards, insignifiants et cafardeux, parlant et se déplaçant comme au ralenti (le côté «mort-vivant»), perdus dans un monde où mort et amour, religion et banalité du quotidien résument cruellement notre condition de simples mortels.
Assurément, Andersson a toujours ce don et ce talent, assez uniques, d’inventer des scènes esthétiquement superbes (ce couple enlacé survolant Cologne en ruines, cette longue procession de prisonniers dans la neige…) ou d’en imaginer des méchamment méchantes (ce chemin de croix brutal, cette femme qui se fait gifler…). Mais Pour l’éternité prouve surtout qu’Andersson semble incapable de se renouveler, enfermant désormais (mais depuis longtemps en fait) son cinéma dans ses propos et ses tics visuels qui ne résonnent plus que dans le vide. C’est dommage : ni son sens du détail, burlesque, ni sa poésie mélancolique ne parviennent encore à enchanter. Seulement à lasser.
Michaël Pigé