Après une année 2020 sans album « officiel » de Ty Segall, Harmonizer sort par surprise et nous offre un témoignage très réussi de son évolution formelle vers un Rock plus électronique.
Comme ce n’est pas tous les jours que l’actualité nous apporte de bonnes nouvelles, l’annonce inattendue de la mise en ligne d’un nouvel album du Californien Ty Segall sera l’une des meilleures surprises de notre mois musical… même s’il faudra a priori attendre octobre pour que Harmonizer soit disponible en version « physique ».
On avait repéré chez Segall une tentation d’abandonner, ou tout au moins de réduire la place des guitares dans son album précédent, First Taste, qui date quand même de deux ans déjà (On ne peut pas considérer son EP de reprises de Harry Nilsson, Segall Smeagol, comme autre chose qu’une sorte de plaisir solitaire, pas réellement destiné à son public traditionnel…). Si notre guitar hero garage-psycho stakhanoviste préféré n’a pas arrêté de travailler pendant la pandémie, puisque deux disques de collaborations auront vu le jour (l’excellent album III de Fuzz et Fungus II de Wasted Shirt), il aura apparemment surtout réfléchi à la prochaine étape de sa musique : Harmonizer peut probablement être écouté comme le résultat – au moins temporaire – de ses cogitations.
Un peu comme ses collègues des antipodes, King Gizzard & The Lizzard Wizard, avec leur dernier album, mais quand même moins radicalement, Segall prend donc note d’une possible nouvelle fin de cycle pour le « rock à guitares », cette forme musicale « traditionnelle » dont il est – a été ? – pourtant l’un des plus magnifiques hérauts. Le concept derrière Harmonizer semble être assez simple : continuer à faire BEAUCOUP de bruit et à créer des mélodies chatoyantes en intégrant des instruments et des sonorités plus modernes…
Car, après une intro électro vaguement planante (qui peut faire peur un instant), on retrouve immédiatement, dès Whisper, cette combinaison gagnante, tellement reconnaissable, de mélodies pop – puisque de Sparks au glam rock, en passant, justement, par Harry Nilsson, Ty a été nourri de ce genre de musique perchée – et d’une ambiance super-heavy visant l’excitation physique avant tout. Avec cette fois, l’idée d’agrémenter le tout d’enluminures électroniques aussi déplacées que parfaitement jouissives.
Erased et Harmonizer continuent dans le même ton, confirmant qu’il ne s’agit pas ici de tout jeter par-dessus bord, mais bien de poursuivre la même trajectoire en l’enrichissant de sonorités électroniques, en s’ouvrant à d’autres idées. L’album, enregistré et coproduit par Cooper Crain (leader du groupe de drone psyché Cave), avec la collaboration de l’épouse de Ty, Denée Segall, bénéficie d’ailleurs de la participation de membres du Ty Segall Freedom Group, confirmation s’il en est de cette logique de continuité.
Pictures décolle puissamment, avec un refrain quasiment élégiaque, avant que le chaos électronique ne s’installe, ouvrant sur un break qui renvoie la chanson vers toute autre chose. Ride est un exercice psyché quasi « Syd Barrettien », qui montre bien que les obsessions du grand Ty n’ont guère varié derrière la prise de risque des changements formels. On a d’ailleurs le droit trouver que c’est là le morceau le plus séduisant de l’album. Waxman marque un retour vers un son plus typiquement heavy, et une ambiance plus noire, plus agressive, suivi par un Play vaguement expérimental.
Feel Good est chanté par Denée et est un pur pleasure seeker : un rock « classique », provocateur, sexy, où les guitares – même retravaillées électroniquement – mènent clairement la danse. Le genre de bombinette super-excitante qui gère parfaitement les fondamentaux de la rock attitude. Et sera sans aucun doute le morceau préféré dans l’album des plus puristes d’entre nous, même s’il dénote finalement un peu par rapport au reste. Changing Contours est une belle conclusion, plus mid tempo, portée par une mélodie ample qui permet en outre de confirmer que Ty s’est débrouillé pour devenir au fil des années un chanteur tout-à-fait acceptable.
On aura compris que Harmonizer n’est pas une révolution (on n’est pas devant un album radical comme le Trans que Neil Young avait balancé à la gueule de ses fans en 1982), mais, beaucoup plus intelligemment, constitue une nouvelle preuve que Ty Segall est un artiste majeur de notre époque. Un musicien inspiré qui sait évoluer sans rien perdre de son honnêteté ni de la plaisante immédiateté de sa musique.
Eric Debarnot