Le cinquième et dernier film de la série Rurōni Kenshin adaptée d’un célèbre manga est une petite réussite, malgré quelques limitations, et son statut de « prequel » de l’histoire en fait une introduction parfaite à l’univers des 5 films de Keishi Ōtomo.
Pour les néophytes, il peut être utile de rappeler que Kenshin le vagabond (Rurōni Kenshin en japonais) est un manga phare publié à la fin des années 90, ayant encore gagné en célébrité internationale à travers une série télévisée et surtout un OAV (une « original animation video », c’est-à-dire un animé plus ambitieux artistiquement, disposant – c’est une caractéristique du marché japonais, bien différente des pratiques US par exemple – d’un budget plus important, et non destiné à une sortie en salle ou en télévision) à la réputation flamboyante. La série de 5 films débutée il y a dix ans et qui se clôt avec ce Rurōni Kenshin – Le Commencement a donc eu fort à faire pour s’imposer face à l’exigence des fans gâtés par l’OAV, et, soyons réalistes, n’y est jamais parvenu.
Pour compliquer encore la réception de ce dernier volet, qui se présente comme un prequel à l’histoire principale, et raconte les débuts de Kenshin Himura, soit Battosaï (le « maître dans le dégainage de l’épée », un assassin quasi invincible), la révélation centrale à l’intrigue a été absurdement spoilée dans le film précédent, ce qui est quand même une sorte de première dans le genre ! On supposera donc, on espérera plutôt que ceux qui se lanceront dans Rurōni Kenshin – Le Commencement attaquent la série de films par ce dernier, ce qui leur garantira beaucoup plus de plaisir.
L’action se situe à la fin du XIXè siècle, alors que les armes à feu font leur apparition et challengent la prépondérance des sabres traditionnels, et dans ce Commencement, Battosaï est un tout jeune tueur qui met ses talents au service des « patriotes », sortes de terroristes locaux qui se sont donnés pour objectif de renverser l’empereur… jusqu’à ce qu’il rencontre une mystérieuse jeune femme, Tomoe, qui va faire dévier sa trajectoire destructrice… Tout adepte du cinéma japonais classique est évidemment familier avec cette période troublée de l’histoire du Japon, et sera intrigué par la rencontre du shōnen – ces mangas pour ados souvent nourris de violence graphique et de sentimentalisme adolescent – et d’un genre (le film de samouraï, pour simplifier) auquel tant de cinéastes géniaux se sont confrontés avec succès.
Ne nous illusionnons pas, Keishi Ōtomo, le réalisateur des cinq films de la série, n’est pas Kurosawa ou Kobayashi, ni même Misumi (le réalisateur des réjouissants Baby Cart…), et il y a peu de chance que Rurôni Kenshin – Le Commencement rejoigne le Top 10 des meilleurs films de sabre nippons. Quelque chose de la « légèreté » du matériau de départ subsiste dans ces poses accablées permanentes du héros (Takeru Satoh n’est pas très convaincant, il faut l’admettre, trimbalant sa dépression mutique sans en faire grand-chose) comme dans la difficulté qu’a Ōtomo pour conférer de la substance à la relation amoureuse qui se crée lentement entre les protagonistes : à cause de ces faiblesses, qui privent le film de sa noirceur radicale et d’une certaine profondeur existentielle, on n’approche jamais ici la réussite des OAV…
Ceci posé, le film a de nombreuses qualités qui en font une œuvre passionnante : le choix, tenu jusqu’au bout, d’une lenteur – un talent des cinéastes japonais, et asiatiques en général – exigeante, qui pourtant jamais n’ennuie ; une esthétique hivernale, souvent « théâtrale », qui crée une ambiance forte et enrichit le scénario ; une interprétation globalement excellente – à l’exception malheureuse du personnage principal (on retrouve par exemple le fascinant Nijirō Murakami qui nous avait impressionné en Chat du Cheshire dans Alice in Borderland) ; la crédibilité des nombreux combats, malgré leur rapidité liée à la performance « foudroyante » de Kenshin, qui voient le réalisateur opter pour une représentation cinématographique classique et se détacher de la description détaillée et stylisée de la violence chère au manga…
On sort des deux heures et quart de Rurōni Kenshin – Le Commencement avec la satisfaction d’avoir retrouvé un peu de l’élégance classique du cinéma japonais, tout en ayant assisté à son actualisation, à l’époque du triomphe de la forme manga, sans pour autant qu’on ait eu affaire à un compromis trop facile entre les deux. Ce n’est vraiment pas si mal, et ça devrait donner aux néophytes l’envie d’aller explorer à rebours cette série dont on a trop peu parlé en France.
Eric Debarnot