Les texans de Tele Novella signent avec Merlynn Belle un disque de pop rétro sans jamais être rétrograde. A ranger au hasard entre les disques de Paula Frazer (avec ou sans Tarnation), ceux de Nico ou encore d’Eden Ahbez. Une certaine idée du futur vu de notre passé.
Certains disques sont des compagnons de saisons, il faut pour rencontrer la musique de tel ou tel artiste être dans une phase commune comme quoi le poids des saisons compte pour notre appréhension et notre perception du monde. Certains disques ont des saveurs automnales, d’autres plus hivernales mais rares sont ceux qui appartiennent tout autant à chacune des quatre saisons. Parfois, la rencontre avec un album ne se fait pas pour des raisons de désynchronisation entre l’auditeur et l’auteur. Quand on sait leur redonner une seconde chance, certaines œuvres se révèlent. Malheureusement, Internet nous a posé dans un temps de l’instantanéité où l’on doit digérer au plus vite des disques parfois complexes, parfois certains paraissant de prime abord légers. On ne sait plus laisser le temps à disque d’exister, de respirer et de s’immiscer en nous. Aussi étrange que cela puisse paraître, c’est souvent les disques les plus simples qui demandent le plus de temps pour mieux les cerner et mieux les comprendre.
Merlynn Belle, le second disque des texans de Tele Novella, n’est pas à proprement parler un perdreau de l’année. Il est sorti en début d’année, le 05 février 2021mais de par ses sonorités ensoleillées, n’y avait-il pas quelque part comme une possibilité de rendez-vous manqué ? Certes, le disque est immédiatement charmant mais la rencontre ne s’est pas faite cet hiver. Alors que les jours se rallongent, que les chemins sont à nouveau habités par nos pas, la Flower Pop de Tele Novella peut devenir la bande-son de notre libération. Tele Novella, c’est un duo constitué de Natalie Ribbons et de Jason Chronis. Sur ce disque méchamment référencé mais jamais rétrograde, on entendra aussi bien l’influence de Pearls Before Swine, The Incredible String Band, Syd Barrett et son Madcap Laughs, The Left Banke ou encore Margo Guryan. Parallèlement, le disque alterne ballades et chansons aux effluves psychédéliques, le spectre musical peut s’étendre de Julie London jusqu’à Nico. On pourrait rapprocher le duo américain du Superhomard de Christophe Vaillant période Meadow Lane Park (2019). Les deux groupes ont en commun de malaxer cette matière rétro pour en faire un terreau fertile, un matériau inédit un peu comme le faisait la bande à la regrettée Trish Keenan avec Broadcast.
Où es-tu parti ? Personne ne savait que tu étais parti
Dans un monde auquel je n’appartiendrai jamais.
On ne peut être fort quand il n’y a pas de gravité
Flottant comme du pollen, tu te poses où tu veux.Oh, où es-tu parti ? Personne ne savait que tu étais parti
Bien que beaucoup aient écrit des chansons sur toi
Seuls quelques uns peuvent se sentir loin
Juste assez près pour entendre les mots qui piquent.Tele Novella – Extrait de Words That Stay
Composer de la musique à partir d’éléments du passé devient alors presqu’un acte politique et militant. Et si l’on revenait à un temps où l’insouciance et la naïveté étaient encore tolérées comme des vertus possibles ? Et si l’on se donnait comme point de départ une musique volontairement intemporelle pour mieux se perdre dans la sphère du temps ? C’est sans doute pour cela que l’on entend tout autant des ballades de Dimitri Tiomkin comme de vieux airs de troubadours. C’est peut-être pour cela que l’on croit entendre du Pentangle dans la musique des deux américains.
Si l’on demande à Natalie Ribbons et Jason Chronis de définir leur musique, leur réponse apporte tout autant de questions. « Ce seraient des miniatures de chansons pop médiévales à travers le prisme du western des années 1950″. Mais si l’on devait tisser un lien, assurément ce serait avec la trop rare Paula Frazer qu’on le poserait. Comme l’ex Tarnation, Natalie Ribbons peut tout se permettre avec sa voix d’équilibriste, elle peut aussi bien nous transporter dans un mirage de chanson réaliste à la française, dans un ersatz d’amour courtois. Enregistré sur un vieux huit pistes, Merlynn Belle lustre sa patine vintage et s’imagine en un acte onirique et songeur. Alliant torch songs, crépuscule, guitare flamenco, Tele Novella signe un disque à la poésie irradiante. L’Exotica est également en clin d’œil sur ce disque cultivé et raffiné, on croise l’ombre bienveillante d’Eden Ahbez sur Wishing Shrine pour mieux se mouvoir dans une complainte de troubadour le temps de One Little Pearl, de celles que Tom Rapp confectionnait sur Balaklava (1968). Merlynn Belle est un disque lumineux mais étrange, il sera bien difficile de situer cette collection de chansons dans un seul genre ou dans une seule période de l’histoire musicale. On pourrait trouver un cousinage avec les Magnetic Fields de Stephin Merritt période 69 Love Songs ou au Farewell Aldebaran (1969) de Judy Henske et Jerry Yester sauf que la dame ne prend jamais de posture ironique vis à vis de ses chansons, elle les occupe avec un premier degré très frais, une forme d’innocence indispensable pour incarner ces hymnes du naïf et de l’ingénu. Comme chez The United States Of America, une large place est laissée à la spatialisation du son.
Malgré ou grâce à ses références, Merlynn Belle est un disque singulier qui ne sonne comme aucun autre se jouant des limites et des modes. En mêlant des ingrédients que l’on ne pensait pas compatibles, Tele Novella offre un disque nonchalant, précieux et personnel.
Alors Merlynn Belle peut bien être sorti l’hiver dernier, il est de toute saison, il est de notre temps passé, présent et à venir.
Greg Bod