La jeune texane Alex Montenegro qui se cache derrière l’alias Skirts signe un premier album envoutant qui rappelle tout autant la nostalgie autrefois rencontrée dans les disques du label Sarah Records que dans les premiers Red House Painters. A l’image de ce qu’a fait Rick Alverson (ex-Spokane) avec The Lean Year, Skirts mêle acoustique et instruments à vent dans un registre qui doit autant au folk qu’à la musique contemporaine.
Quelle est pour vous la dernière période bénie en musique ? Allez, osez et lâchez vous. Pas de honte à avoir ! Nous sommes entre nous, promis, rien ne sortira de ces pages. Ce qui se passe en lisant Benzine Magazine reste en lisant Benzine Magazine. Peut-être comme moi regrettez-vous cet âge d’or du Slowcore ou Sadcore, peu importe les termes, les deux conviennent. Comme moi, vous regrettez la divine Stina Nordenstam, comme moi, vous regrettez le côté plus apaisé de Low, la nonchalance triste de Logh. Il y avait dans ces postures-là, dans ces têtes penchées comme au dedans de soi comme des effluves, comme des réminiscences de nos adolescences pas si lointaines à l’époque.
A en deviner les photos qui nous montrent la jeune texane Alex Montenegro, pas sûr que la demoiselle ait connue les années 90. Pourtant c’est bien vers le Slowcore que nous renvoie nos oreilles, un Slowcore mondialisé. Great Big Wild Oak, ce serait un peu la collision entre les espaces clos de And She Closed Her Eyes (1994), second disque de la suédoise Stina Nordenstam et l’univers plus ouvert des productions du label Sarah Records. Musique de bourdonnement, de murmures et d’acouphènes, l’univers de Skirts est comme un éloge, une apologie de la lenteur, de la nonchalance sourde, de la menace taiseuse. Plongeant dans un minimalisme qui ne se refuse jamais un instant de lyrisme, l’ambiance chez Skirts est plus accueillante que chez le janséniste Rick Alverson et son projet Spokane. Pourtant, les deux ont bien des choses en commun, cette voix à la limite de l’atonalité, cette guitare saturée qui jamais ne crie, cette émotion qui reste toujours au dedans, ce frisson à l’os. Skirts est peut-être plus proche dans son appréhension de la mélodie du nouveau projet de l’ancien leader du groupe de Jagjaguwar, The Lean Year. En élargissant le spectre sonore avec l’utilisation d’instruments à vent, Skirts évite le piège possible d’une certaine linéarité qui aurait pu s’installer à l’écoute de de Great Big Wild Oak.
Alors, bien sûr c’est un disque contemplatif qui réclamera une attention réelle pour en cerner tout l’enjeu. Volontairement incohérent et changeant, Great Big Wild Oak ne cesse de tromper les humeurs. D’un Back Out comme échappé d’un disque de Stina Nordenstam à Always en Dream Pop song (digne d’un Red House Painters ou d’un Cocteau Twins) en passant par Easy qui fait la part belle à des arrangements superbes et plus étoffés ou encore Dayspell qui dessine de drôles de contours, Alex Montenegro brille sans jamais donner l’impression de le vouloir, elle tisse une toile autour de nous.
J’entends le bruit de la vaisselle sale, et je sais que c’est mon tour, mais la chaise me retient comme le fait un être cher.
Je sais que quelqu’un se retourne dans sa tombe, il veut me dire que je rate ma vie.
Une autre année passe, et je ne me sens pas aussi vieille que ce qui est écrit sur mon permis de conduire, jusqu’à ce qu’on me dise que je suis devenu un grand chêne sauvage et que je serai toujours un jeune arbre pour ma mère.
J’ai parié que les Texas Rangers allaient gagner et bientôt la salle était divisée.
Et Kevin rirait s’il n’en tenait qu’à moi et ne me donnerait qu’une tape pour mon anniversaire.Skirts – Extrait de Sapling
Sa musique qui doit autant au Math Rock, au Post Rock qu’à la Dream Pop ne cherche jamais à charmer, elle conserve une certaine distance vis à vis de son auditeur, comme une timidité mal assurée, comme un sentiment d’illégitimité, comme ce syndrome du « Je ne suis pas à ma place ». Etrangement, plus le disque avance, plus il prend des teintes plus classiques. Pour autant, il ne perd en rien de son intérêt. Swim qui commence comme une ballade au piano comme celles que l’on aime chez Randy Newman se termine en mélodie osseuse comme échappée de Big Star. Avec ses faux airs d’Holocaust, Swim nous subjugue. True perd de la neurasthénie ambiante propre à l’album pour laisser circuler un peu d’air dans cette chanson articulée comme une valse évaporée.
Il faudra s’attarder sur ces textes qui ne disent presque rien mais car il y a toujours un mais, c’est le presque qui est important. Alex Montenegro décrit le quotidien, les petits riens. On a parfois l’étrange impression de lire en voyeur un journal intime, la description de la vie d’une jeune femme comme tant d’autres. On croise dans cette peinture quelque chose que l’on retrouve dans les romans de Benedict Wells, La Fin De La Solitude (2018), le drame qui se cache toujours derrière le détail et l’anodin. En racontant le vide et le peu, c’est l’ennui qu’Alex Montenegro cherche à signifier, à rendre signifiant, donner du sens à ce qui est vide et absent. Sur Swim par exemple, elle pose cette phrase-là l’air de rien : « Si un saumon peut remonter le courant, alors je peux apprendre à nager ».
La musique de Skirts est pareille à une rivière qu’il faudrait remonter à contre-courant, il en faut de la force pour remonter jusqu’à sa source, l’effort est rude mais la victoire n’en est que plus joyeuse. On veillera sur cette petite sœur idéale, sur cette fille rêvée qui compose des chansons qui lui ressemblent tant mais qui finissent aussi par nous ressembler. Sa musique est faîte de renoncements et de torpeurs inquiètes, de souvenirs non-vécus, de rêves bien réels.
Une belle découverte que ce Great Big Wild Oak.
Greg Bod