Si le rétro a de plus en plus le vent en poupe, le groupe Jungle n’a jamais sombré dans le grotesque mais a su, au contraire, faire souffler un vent de fraicheur sur la soul et la funk. Avec leur troisième opus, ils innovent autant qu’ils plongent plus profond dans l’hommage a une époque et un style de musique qui nous ramènent au son Motown.
Dans le livre Les Besoins Artificiels, Razmig Keucheyan avance l’idée d’une centralité de la nouveauté. Un besoin perpétuel aussi bien dans la consommation que dans l’art moderne, qui pousse a toujours exiger du jamais vu, du jamais entendu.
En 2014, Jungle n’est pourtant pas ce qu’on pourrait qualifier de groupe d’avant-garde.
Josh Lloyd-Watson et Tom McFarland débarquent avec une resucée de Soul, R&B et Funk, genres qui ont tous connu leur heure de gloire au cours du siècle dernier mais bénéficient d’un énorme come-back dans les années 2010 et jusqu’à encore maintenant. Et sur ce dernier point, on pourrait alors qualifier les britannique de visionnaires car ils font partie des premiers, et surement des investigateurs du retour à la mode des patins à roulette (le clip de The Heat), des survêts Adidas (Platoon) et des grosses radio K7 (Time). Une néo-soul qui, si elle sait très bien reprendre des éléments graphiques ou sonores des années 70, 80 et même pourquoi pas 90, a aussi un savoir-faire moderne qui rend le tout ironiquement neuf et catchy.
Avec leur album éponyme, le duo très bien accompagné (ils sont alors 8 sur scène) délivre une musique aussi suave par moments (Drops qui danse langoureusement avec nos oreilles) qu’entrainante sur certains bangers comme Julia.
Là où d’autres groupes comme Parcels se borneront à un hommage constant à une musique du passé, certes avec beauté mais sans panache, Jungle surprend à chaque morceau. Et un précieux bijou se doit d’avoir un non moins magnifique écrin, alors Jungle se pare de clips faisant tous la part belle à des danseurs dans un style très hip hop. Le groupe ne se met alors que très peu en avant, laissant avant tout leur iconique logo faire le travail à leur place.
Et après une certaine notoriété acquise à travers de nombreux festivals dans le monde, la formule ne change que très peu pour For Ever en 2018. Une pochette qui passe simplement du noir au doré et deux rares clips où le groupe s’affiche enfin, notamment pour House in L.A dans une villa luxuriante, à Los Angeles bien sûr.
La prise de confiance est donc là (à moins qu’il ne s’agisse un peu d’égo) et il serait bien dur de leur en vouloir car musicalement le charme fonctionne toujours autant. Avec la difficile tâche de succéder à autant de tubes, le second album affiche pourtant un certain nombre de chansons taillées pour les radio FM et les festivals. Toute crainte d’un essoufflement passée, on se dit donc que décidément les deux bonhommes savent ce qu’ils font et le font mieux que personne.
En restant borné plus ou moins à un genre et une époque, la créativité dont ils font part a de quoi surprendre tant chaque morceau apporte sa petite idée catchy et son gimmick qui le rend unique. Un constat qui ne se démentira pas sur Loving in Stereo.
Dans le rang des nouveautés tout de suite visibles il y a déjà des featurings, une première pour le groupe qui s’associe donc au rappeur Bas pour Romeo et la chanteuse Priya Ragu sur Goodbye my Love. L’ajout de paroles rappées pourraient choquer sur un album de Jungle mais le rap a su prouver depuis ses débuts que la funk ou la soul étaient surement les genres auxquels il se mariait le mieux. Romeo nous renvoie donc instantanément dans les années 90 avec un flow très insouciant et des petits chœurs que le rap de l’époque ne renierait pas. Goodbye My Love, bien plus classique (voire paresseux ?) a le mérite là aussi de proposer une déclinaison des possibilités de voix applicable au groove parfait de la formation anglaise. La voix très R’n’B de la zurichoise est surement un des meilleurs indicateurs du léger changement d’axe de cette troisième mouture.
Un changement pas si délirant car comme énoncer plus haut, Jungle est de ce genre de groupes qui a participer à réinstaurer l’imaginaire des années 70 à 90 et c’est un juste retour des choses que Loving in Stereo puise dans ce que la musique actuelle fait de plus populaire ces dernières années. Pour autant, il n’est pas question ici de céder à la facilité car la montée en gamme est indéniable. Preuve de cette envie d’être plus distingué, l’album s’ouvre avec Dry Your Tears, véritable ouverture symphonique presque dramatique alors que Keep Moving se charge de commencer les vraies hostilités sur un ton très disco, parfait alliage d’électro et neo-soul. L’ajout d’instruments symphoniques persiste pourtant et s’étendra même jusqu’à la fin du disque avec Can’t Stop The Stars. Tout réside alors dans leur mixage qui nous ramènerait tout droit à la Mowtown (et la batterie folle de Fire accentue cette impression) pour le plus grand plaisir des dancefloors.
Est-ce que pour autant Jungle deviendrait prétentieux ? Il faudra bien un titre comme Truth pour nous prouver le contraire. Véritable hymne rock qui invoque les heures les plus régressives de Gorillaz, il est probablement l’une des plus grosses surprises en termes de style de toute la carrière du groupe et bien sur, dans ce genre-là aussi ils excellent. L’utilisation de sample sur All Of The Time pourra aussi (agréablement) surprendre mais se il marie à merveille à l’énergie musicale à laquelle nous sommes maintenant rompus.
Globalement ce troisième disque joue encore plus qu’auparavant avec la voix quand bien même le chœur principal reste central, on retrouve de plus en plus de chants singuliers comme sur Lifting You, nous amenant donc à repenser ce qui fait l’ADN du groupe au-delà du simple chant des leaders qui a fait leur marque de fabrique.
Le groove, c’est bien ça Jungle, et derrière les flûtes de Bonnie Hill ou les synthés de Fire, il restera toujours cette envie de faire danser, au moins autant que dans leurs nombreux clips (puisque l’album est devenu un moyen métrage). Une écoute plus que conseillée même si il est difficile de rester vissé à son siège. On attend juste le prochain passage en France pour voir tout le potentiel de cette nouvelle quinzaine de morceaux ravageurs.
Kévin Mermin