Dans la suite et la lignée de ses précédents romans, Cécile Coulon propose une histoire qui met aux prises des êtres à l’âme plus ou moins noire, qui sont le jouet de passions violentes et irrépressibles. Celles et ceux qui ont aimé les précédents devraient aimer Seule en sa demeure.
Faut-il encore présenter Cécile Coulon ? Ses déjà 7 romans et ses 2 recueils de poésie ? Ses nouvelles ? Ses essais ? Probablement pas ! Les multiples prix que son travail lui a valu attestent d’une large reconnaissance. Nul doute qu’un roman d’une autrice que son éditeur présente comme “confirmée”, qui sort à la fin de l’été, pour la rentrée littéraire, attire de nouveau attention, lectrices, lecteurs, compliments et critiques. Avec raison. Il y a en effet fort à parier que ceux qui avaient aimé les précédents, aimeront celui-ci. Et ceux qui n’avaient pas aimé, n’aimeront certainement pas. Car Seule en sa demeure s’inscrit clairement dans la lignée de Trois saisons d’orage et, peut-être bien plus dans celle d’Une bête au Paradis.
Seule en sa demeure a, à la fois, la même simplicité et la même complexité qu’Une bête au Paradis – et même que Trois saisons d’orage. Une histoire d’amours – y-a-t ’il vraiment de l’amour ici ? – et de haines, de réussites et d’échecs, de doutes et de passions, froides ou brûlantes, qui emportent tout. Une histoire hors du temps qu’il est difficile de dater – on sait que le roman se déroule quelques années après la création des sanatoriums, ce qui indiquerait la fin du 19ème ou le début du 20ème siècle mais, à cette époque, déposait-on un enfant le temps d’aller faire les courses ? Et y avait-il alors des professeures de flute traversière ? Une poignée de personnages très archétypaux – les mauvaises langues parleront de stéréotypes – qui se posent, ou pas d’ailleurs, des questions sur leur identité, leur vie, ce qu’ils font ou ne font pas, devraient faire ou pas – l’aimer, ne pas l’aimer ? S’aiment-ils ? Peut-on aimer ? Que signifie aimer ? Est-il possible d’en parler, au moins ? À peine. Ces personnages parlent peu – encore beaucoup de silence dans ce roman ci – ou mentent – prêts à tout pour se sauver et sauver ce (ceux) qu’elles et ils aiment, y compris à être violents. D’ailleurs, la vie est violente. La nature est violente – que cette forêt et ses grands arbres noirs sont oppressants ! Mais aussi, encore et toujours chez Cécile Coulon, la violence de la ville – quand la ville s’immisce dans les vies de ces campagnards que le fragile édifice qu’ils avaient construit se fissure. Le tout raconté dans ce même style que celui de Trois saisons d’orage ou, en fait, plus de celui d’Une bête au Paradis. Un style fait de phrases amples et imagées, riches de mots souvent rares et méticuleusement choisis, peut-être un peu trop amples et un peu trop imagés, un peu trop rares et un peu trop choisis – ici “la serrure f[a]it silence”, “les chevaux calèchent par tous les temps”, “la chaleur pose son couvercle de fonte sur la forêt”, la force de la servante ressemble à celle “des chevaux de trait et de bourreaux de place publique“ ou “la robe [des chevaux] luit de sueur et de lumière dans le matin naissant”. Tout cela est-il un peu trop lourd de poésie.
Mais on peut s’habituer à cette façon d’écrire, à se laisser emporter avec plaisir dans cette histoire de passions furieuses, comme on a pu se laisser emporter dans Une bête au Paradis. Tout commence avec Candre Marchère, qui voit sa mère s’effondrer morte devant lui dans l’Église au moment d’aller prendre la communion. Il a 5 ans. Délaissé par son père qui s’épuise à faire fortune, Candre est élevé par Henria, la servante, la bonne qui prend soin de lui toute sa vie. Au moment où il prend les rênes du domaine, Candre se marie une première fois mais sa femme Aleth décède peu de temps après dans un sanatorium. Il se marie une seconde fois à Aimée – au grand désespoir de Claude, le cousin d’Aimée, qui aime sa cousine avec qui il a été élevé. Le mariage est arrangé par le père d’Aimée, qui se rend malgré tout compte qu’elle aime son futur mari, ses silences et sa délicatesse féminine, ses attentions et sa façon de parler à l’oreille des chevaux. Mais rien ne durera. Aussitôt arrivée dans le domaine Marchère, Aimée se sent très mal. En partie, parce que, étouffée par la présence fantomatique d’Aleth qui hante les lieux et les esprits, Aimée est victime du syndrome Mme de Winter. Ensuite, parce qu’elle est victime de ses propres sentiments. Non seulement ce qui faisait le charme de son mari – ses silences et ses attentions – devient quasiment sur le champ insupportable. Mais elle est aussi confuse du désir qui naît pour Angelin et pour Mlle Emeline Lhéritier, la professeure de flute que Candre fait venir à grands frais de Suisse pour des cours particuliers. Apprendre à jouer de la flute traversière semble une bonne idée ! Mais Aimée n’apprendra jamais la flute. A la place, elle apprendra – grâce à Claude, qui ne l’a jamais abandonnée – et Emeline le lourd mystère qui pèse sur le domaine Marchère. Un mystère qui se dénoue, comme dans Une bête au Paradis, dans les dernières pages – mais qu’on devine bien avant. Comme dans Une bête au Paradis.
Seule en sa demeure n’est probablement pas le meilleur roman que Cécile Coulon ait écrit. Mais c’est du Cécile Coulon. En soi, cela peut être un gage de qualité.
Alain Marciano