Le nouveau film de Cédric Jimenez aurait pu être un grand film, créant le lien, parfait, entre L.627 et Les misérables. Il n’est finalement qu’un bon polar made in France, sans nuance dans son approche psychologique et dramatique, et observateur à chaud d’une société à bout, prête à péter de toutes parts.
À l’avenir, et pour peu que le film acquiert une notoriété (c’est possible) ou simplement qu’on s’en souvienne (c’est possible aussi), on parlera sans doute davantage de BAC Nord pour la polémique qu’il aura suscitée que pour son sujet lui-même. Polémique qui, depuis sa présentation au dernier festival de Cannes, revient sur le devant de la scène à l’occasion de la sortie du film. C’est que BAC Nord serait, au-delà de l’éternelle question flic ou voyou (ou les deux), une œuvre pro-flics faisant le jeu du RN («Peut-être que je vais voter Le Pen après ça», a lancé un journaliste irlandais lors de la conférence de presse cannoise) en perpétuant les clichés sur les cités (ses habitants, ses clans, ses kalachs et ses «no go zones») ; en l’occurrence, ici, celles des fameux quartiers nord de Marseille réputés pour leur violence («C’est Bagdad», résumera d’ailleurs l’une des héroïnes du film).
Entre fantasmes, réalité du terrain et rabâchage des médias, l’image des cités semble plus que jamais protéiforme. Insaisissable. Et celle montrée dans BAC Nord ne fait pas, elle, spécialement dans la dentelle (à l’instar par exemple de la récente mini-série Caïd). Mais prêter au film une hypothétique influence frontiste à cause de cette image-là paraît illusoire, voire stupide, et ce serait lui donner trop de crédit par rapport à ce qu’il est (un bon polar made in France, sans plus). D’autant que la vision de certaines banlieues, perçues comme des «territoires abandonnés» par l’État, ne date pas d’hier et contient sa part de vérité qui ne saurait se réduire à un simple vote politique (mais plutôt à une politique, démissionnaire depuis des décennies quel qu’en soit le bord).
Ni celle d’une police démunie, dévalorisée et régulièrement «à la limite» (voir par exemple L.627 de Bertrand Tavernier qui, en 1992 déjà, montrait le quotidien et le travail de flics entravés par un manque de moyens criant, et même inquiétant). Du coup, l’autre polémique qui sert de trame narrative au film, celle autour du scandale qui a éclaboussé la BAC de Marseille en 2012, passerait presque au second plan. Du reste, BAC Nord n’entend pas être le fidèle rapporteur de l’affaire (toujours en cours), mais bien, en partie, de la fictionnaliser pour dresser l’amer constat d’une loi et d’un ordre qui se sont dévitalisés, plombés par la culture du chiffre, un budget peanuts, un sentiment d’inutilité et une hiérarchie à la masse, soucieuse d’abord des desiderata des politiques.
Avec en face, comme résultat, une criminalité débridée qui n’a plus peur de rien et qui sait les flics quasiment impuissants (et obligés de flirter avec l’illégalité pour pouvoir faire leur boulot, illégalité qui, plus tard, aura de lourdes conséquences pour tout le monde). En ça, le film avance plutôt avec de gros sabots (la dernière partie, en prison, a une approche psychologique et dramatique assez sommaire) et la dénonciation, bien que salutaire, s’avère souvent sans nuance, et de tous les côtés d’ailleurs (cité ressemblant à la pire des favelas remplie de barbares armés, flics un peu gros bras, un peu profiteurs, mais sympas dans le fond, supérieur lâche et IGPN encore plus lâche).
Et Cédric Jimenez, en donnant l’impression de dédouaner ses trois anti-héros, finalement plus boucs émissaires que petits ripoux aux méthodes louches mais probantes (mais l’argument n’est pas nouveau, a fait ses preuves d’Un condé à L’inspecteur Harry en passant par Training day et The shield), finit par saper toute éventualité de subtilité. Là où BAC Nord marque des points, c’est dans sa mise en scène nerveuse, sa tension permanente et son magnifique trio d’acteurs (Lellouche, Civil et Leklou, en feu). Pas suffisant pour en faire un grand film, ce qu’il aurait pu être, sûrement, créant le lien parfait entre L.627 et Les misérables, mais uppercut honorable dont on retiendra surtout la longue scène de l’assaut d’un immeuble abritant des trafiquants de drogue, et observateur à chaud d’une société à bout, prête à péter de toutes parts.
Michaël Pigé