Sous l’influence de Lynch et Cronenberg, la nouvelle mini-série horrifique mais surtout étrangement originale de Netflix, Brand New Cherry Flavour, vaut finalement bien mieux que la collection de citations qu’elle déploie.
Les ambitions de Nick Antosca et Leonore Zion, les créateurs de Brand New Cherry Flavor sont clairement énoncées dès le début de cette étonnante « petite » série Netflix : faire du cinéma comme Verhoeven et Cronenberg, pas moins… Or, si l’hommage à Cronenberg ne saurait être plus explicite, avec cet étrange orifice s’ouvrant dans le flanc de l’héroïne, source de plaisir sexuel mais capable aussi d’expulser des chatons nouveau-nés, on peut s’interroger sur la référence à Verhoeven : sans doute s’agit-il ici, comme l’a démontré brillamment le Hollandais Violent au cours de la phase hollywoodienne de sa carrière d’iconoclaste, de subvertir une « industrie » en en adoptant en apparence les codes, pour effectuer incognito un véritable travail d’auteur. Brand New Cherry Flavor se voudrait donc une série TV auteuriste déguisée en produit Netflix standard, usant et abusant des mécanismes du cinéma d’épouvante commercial.
Mais l’on ne peut regarder Brand New Cherry Flavor, histoire tragique d’une aspirante réalisatrice arrivant à Hollywood avec comme référence un stupéfiant court-métrage de fin d’études, vite avalée et recrachée par la machine, sans penser à David Lynch, qu’Antosca et Zion citent à longueur d’épisode : nourrie de Mulholland Drive (un amour lesbien et une trahison dans le milieu du cinéma, l’atmosphère nocturne, mi-glamour, mi-glauque de la Cité des Anges), de Lost Highway (les basculements de l’identité des personnages, l’obscurité nichée au fond de chacun), et surtout de Twin Peaks (les apparitions terrifiantes du Mal, mais aussi l’humour décalé omniprésent), la série prend clairement le risque d’en faire trop, et de n’être qu’une succession de clins d’œil aux initiés.
Heureusement, deux choses vont sortir Brand New Cherry Flavor du confort d’un terrain connu, et déjà arpenté par des gens au talent bien plus considérable… D’abord, la partie « fantastique » de son sujet : Lisa Nova, notre héroïne ambigüe – manipulatrice perverse ou victime innocente ? il est difficile de trancher à la fin – va faire appel, pour se venger de la trahison de son producteur aux mains lestes, à une étrange sorcière – entourée d’un gang de zombies ! – qui va se jouer d’elle et lui faire retourner involontairement à ses origines, qui se nichent dans des traditions folkloriques brésiliennes. Et là, hormis quelques raccourcis occasionnels vers les clichés de l’horreur de série B, Brand New Cherry Flavor va déployer un imaginaire somptueux, original, souvent véritablement terrifiant tout en étant esthétiquement magnifique (la femme sans visage, la présence monstrueuse vibrant à la limite de l’image), parfois irrésistiblement drôle (la déesse jaguar brésilienne transformée en sofa…). Il ne faut pas en dire plus, tant le téléspectateur va aller de surprise en surprise devant l’audace de scènes – certaines frôlant l’insoutenable, c’est vrai – qui permettent à la série de se démarquer franchement du tout-venant.
Le second gros atout de Brand New Cherry Flavor est son trio d’acteurs principaux, qui tire constamment la série vers le haut, et nous ferait même avaler les situations les plus improbables (et des chatons, par la même occasion ?) : Rosa Salazar (même si l’on regrette que la production n’ait pas choisi une véritable actrice brésilienne…), qui ne nous avait guère séduite que – redessinée – dans Alita, s’avère une révélation, un mélange explosif de fragilité et de monstruosité, en équilibre permanent entre rage et larmes ; Catherine Keener, dont on connaît depuis longtemps le talent dans le cinéma indépendant US, est une délectable sorcière manipulatrice, aussi séduisante que répugnante, aussi charmante que haïssable ; mais c’est surtout Eric Lange, jusque-là réduit à des seconds rôles, qui époustoufle en ordure « Balance Ton Porc » dont la fragilité ne cesse jamais de nous surprendre. Parce que ces trois personnages centraux, ces trois « monstres hollywoodiens » particulièrement bien écrits, échappent totalement aux stéréotypes habituels – qui est bon ? qui est mauvais ? la question ne fait clairement pas de sens -, ils offrent l’occasion à leurs interprètes de prouver toute l’étendue de leur talent.
En conclusion – et on espère que les dernières scènes, sous le signe d’un possible recommencement, n’appellent pas une seconde saison ! -, Brand New Cherry Flavour n’est peut-être pas une réussite absolue (il aurait sans doute fallu pour cela la vision d’un grand metteur en scène), mais s’avère l’une des propositions les plus singulières, et donc les plus attirantes, de Netflix cette année.
Pour public « averti » quand même, comme on disait autrefois…
Eric Debarnot