« Marathon » de Nicolas Debon : c’est vrai qu’c’est beau le sport, parfois…

Le Marathon ! L’épreuve reine des JO, celle qui les clôture même ! La seule évocation de cette course aux origines légendaires provenant du fond des âges, charrie un imaginaire romanesque, voire romantique. Sauf que présentement, il ne s’agit pas vraiment de raconter l’histoire du messager grec Philippidès…

Marathon — Nicolas Debon
© 2021 Dargaud

Le scénario de cette BD tient sur un confetti : il raconte le marathon des Jeux Olympiques de 1928, soit un peu plus de deux heures trente de course. Arrivés à ce stade de la compétition (gag), les passionnés de sport tels que je ne le suis pas commencent logiquement à transpirer. 115 pages !… A la rigueur, Nicolas Debon aurait choisi de scénariser le 100 mètres, la chose aurait été expédiée en quelques pages, mais 115 pages pour suivre des mecs qui courent tout seul dans leur coin, vous imaginez ? Et bien c’est absolument captivant, du début à la fin ! Et d’abord parce que cette histoire nous embarque dans un voyage dont la destination n’était pas du tout annoncée.

Marathon — Nicolas DebonSortie opportunément l’été des JO de Tokyo, cette BD ne s’inscrit cependant pas dans une démarche marketing. Servi par un dessin cinématographique, exécuté au crayon gras noir et bénéficiant d’une bichromie très classe, le récit avance sur plusieurs niveaux narratifs en même temps. A la fois récit historique, il se fait tour à tour militant, psychologique, et profondément poétique, au point de vous titiller les glandes lacrymales. La simple mise en relation de certains textes, sobres, ramassés, choisis avec un soin d’orfèvre, avec certaines images à la force évocatrice indéniable provoque des effets oniriques bienvenus avec un sens de l’à-propos parfois étonnant. En somme, Marathon raconte bien davantage que ce qu’elle annonce.

Ce qui rend l’épreuve de cet été 1928 si bouleversante, c’est la victoire française d’un parfait inconnu, ouvrier chez Renault, et pas vraiment français puisqu’il est algérien, quoiqu’il en soit pas très blanc : le jeune El Ouafi Boughéra, que par condescendance tout le monde surnomme El Ouafi, en réalité son prénom. Et sa victoire est embarrassante que cette compétition fut une véritable débandade pour le sport français, avec seulement 3 médailles, Boughéra sauvant l’honneur en offrant l’unique médaille d’or. Trente ans avant Alain Mimoun, El Ouafi Boughéra essuie les plâtres et fournit à la France une occasion de faire preuve d’une hypocrisie aux relents racistes prononcés que d’aucun jugeront coutumière. On pourra d’ailleurs (re)lire la BD Championzé de Vaccaro et Ducoudray sur Amadou Mbarick Fall, premier champion du monde de boxe français, dont le nom a été effacé des encyclopédies sportives. C’est presque un autre débat, mais le voilà une nouvelle fois ouvert.

Je dis « presque » car la question de l’attitude de la France ne doit pas occulter l’exploit réalisé par ce petit homme frêle que l’auteur sort de l’anonymat dans lequel les instances olympiques l’avaient plongé. C’est sans doute pour cette raison que le récit s’achève sur une divagation d’une poésie bienvenue à travers les pensées qui traversèrent peut-être la tête de Boughéra pendant la course. Il y a certes l’Histoire, ses phantasmes et ses abominations, mais au-delà, il y a les êtres humains.

On ressort de cette lecture avec l’impression d’avoir visionné un film d’époque, mais surtout d’avoir fait un véritable voyage spatio-temporel, autant documentaire qu’introspectif. Le récit commence en effet par une vibrante citation de Pierre de Coubertin (peut-être dans son discours fondateur des JO modernes, mais c’est à vérifier) vantant les valeurs de l’olympisme et s’achève par une partie documentaire qui vient confronter la théorie à la réalité. Cruel, militant, salutaire !

Après Le Tour des géants et L’Essai, déjà très chouettes (et L’Invention du Vide que je ne connais pas encore mais que je vais m’empresser d’aller découvrir), il livre ici une odyssée quasi homérique où un petit Ulysse moderne fait face aux a priori et à la bêtise, se confronte à ses propres limites physiques, affronte les monstres de son époque dont l’hydre finlandaise et ses Laaksonen et Marttelin ou le japonais Yamada

Nicolas Debon, quant à lui, semble avoir trouvé la foulée qui lui convient !

Arnaud Proudhon

Marathon
Scénario & dessin : Nicolas Debon
Éditeur : Dargaud
120 pages – 19,99 €
Parution : 25 juin 2021

Marathon – Extrait :

Marathon — Nicolas Debon
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