Double Nelson, le nouveau Djian, plus fantaisiste qu’à l’habitude, et sans doute moins noir, ne lui gagnera pas la sympathie de ceux qui le détestent déjà, mais pourrait marquer une évolution chez un auteur qui tournait un peu en rond ces derniers temps.
Le Djian de l’année dernière, 2030, nous avait déçus, malgré – ou à cause de – son sujet plus ambitieux (sur l’avenir de la planète et notre responsabilité individuelle), ce qui fait que les premières pages de Double Nelson nous rassurent, finalement : voilà notre cher Philippe revenu sur son terrain coutumier, bien balisé oserait-on dire, la crise du couple, ce qui nous garantit à peu près notre plaisir de lecture.
Une fois le titre du livre expliqué sur la quatrième de couverture – Djian ne le fait pas dans le livre -, puisque le « double nelson » est une prise de catch visant à immobiliser totalement son adversaire, on se lance donc dans la description assez habituelle chez l’auteur du désastre de la vie amoureuse d’un écrivain qui, bien sûr, lutte aussi pour retrouver, sinon l’inspiration, mais au moins la capacité de produire quotidiennement assez de pages pour satisfaire son éditeur. Et là, il faut bien admettre que Double Nelson commence en ronronnant, d’une manière plus confortable qu’autre chose… Ce qui nous laisse amplement le temps de nous concentrer sur le style d’écriture – inchangé, on le répète à chaque fois, avec son absence de ponctuation autre que points et virgules, ses dialogues mis au même niveau que le reste, etc. Et aussi sur ces touches d’humour, léger mais toujours un peu doux-amer, qui agrémentent les descriptions sobres d’un calvaire relativement petit-bourgeois.
L’originalité de Double Nelson vient de l’irruption dans l’univers assez mesquin de Luc, notre écrivain, d’une sorte de violence romanesque qui semble tirée des « bouquins de gare » les plus vulgaires : Edith, l’autre moitié du couple en crise de Luc, est une militaire de choc, faisant partie des forces spéciales d’intervention, et sa dernière mission, qui a échoué, était justement centrée sur une mystérieuse propriété à quelques kilomètres de leur domicile. Ce qui entraîne dans la vie déjà hautement instable d’Edith et Luc l’irruption de dangereux mercenaires, mais conduit aussi au montage d’une opération très risquée de libération d’otages. Et pourquoi pas ?
Le problème est que Djian se fout visiblement comme de l’an quarante de la vraisemblance de cet aspect « policier » de Double Nelson, ce qui provoquera inévitablement le même sentiment de non-implication du lecteur dans les péripéties aussi rocambolesques que superficielles qui en découlent. Comme Djian paraît lui-même assez peu sûr de son coup, il prend d’ailleurs à mi-parcours la décision curieuse d’introduire, surprise, surprise, un autre sujet – une autre menace pour notre couple déjà bien en difficulté – dont nous ne dirons rien ici (pas de spoiler !).
Si l’on ne peut guère s’empêcher de penser que Djian se met lui-même en difficulté en accumulant des thèmes pas très maîtrisés, peu à peu, le charme opère : avec ses habituelles – et efficaces – ellipses (le côté « lubitschien » des histoires de Djian), puis avec l’intégration progressive dans la narration, initialement centrée sur Luc, d’autres voix, le vieux renard finit par nous accrocher, et même par créer une sorte de suspense efficace.
Plus enlevé, moins noir, moins désespéré, plus touchant sans doute que les livres précédents de Djian, Double Nelson s’avère finalement une lecture plaisante, même si légère, et laisse entrevoir la possibilité – inhabituelle chez l’auteur – d’une sorte d’apaisement, qui pourrait bien ressembler au bonheur. Acceptons-en l’augure, et voyons Double Nelson comme un livre de transition vers ce qui pourrait être une nouvelle phase de l’œuvre d’un écrivain qui semblait tourner en rond depuis quelques années, et refuser une possible maturité.
Eric Debarnot