Avec les températures qui ont à nouveau chuté, le ciel nuageux, et la perspective de la fin prochaine des formidables Soirées Take Me Out, il nous fallait une grosse dose d’énergie pour garder le moral. Devant un public toujours nombreux et enthousiaste, c’était au tour des Bordelais de W!ZARD et des Flamands de The Guru Guru de maintenir la flamme en un jeudi soir qui sentait un peu trop la rentrée…
… même si l’un des avantages indéniables de cette rentrée prochaine, c’était l’arrêt des séances de cinéma sur la pelouse du Parc de la Villette, permettant aux concerts de se terminer une bonne heure plus tard, et donc à chaque groupe de disposer d’un peu plus de temps, ce qui n’est pas négligeable si l’on pense à la pression sur le timing des dernières semaines.
20h30 : le set de W!ZARD débute dans une explosion sonique aussi surprenante qu’alléchante. Nos jeunes Bordelais sont 3 sur scène et sont là clairement pour faire le plus de bruit possible. La guitare cherche les dissonances, la basse n’a aucun rôle rythmique mais contribue à l’ambiance assez singulière, le batteur fait tout pour propulser le chaos vers l’avant. Le chanteur hurle : il a – presque – l’air en colère du début à la fin. Presque car finalement W!ZARD, on voit bien que ce sont des mecs bien, peut-être même des gentils garçons. Qui appliquent les recettes de groupes bien plus méchants et déjantés qu’eux (on a pensé à un moment à Girl Band comme sorte de référence ultime…). Qui nous livrent une représentation impeccable de la rage, de la folie sans que jamais l’on ne ressente vraiment au fond de nous cette rage, cette folie. Les morceaux sont informes comme il faut, hérissés de pics tranchants et douloureux comme des os brisés : c’est un parti-pris honorable, courageux. De temps en temps, la musique se met en place pour une minute ou deux de speed qui raviront quelques spectateurs venus pour le headbanging. Une chanson, à un moment, ébauche une mélodie, une émotion, mais on doit admettre qu’on a déjà lâché prise depuis un moment. Le dernier morceau s’appelle Fears et le chanteur hurle que « toutes ses peurs sont réelles », sans qu’on n’y croie une seule seconde. 45 minutes de vide bruyant, c’est long, à voir défiler ce qui ressemble finalement à des stéréotypes destroy. Les trois musiciens de W!ZARD ont du talent, ils devraient renoncer à l’idée que l’intensité musicale se décrète, que la folie se représente. Et prendre le temps de composer quelques morceaux qui tiennent mieux la route : la rage viendra alors tout naturellement…
21h45 : puisque les Américains ne peuvent toujours pas voyager en Europe, puisque les Britanniques sont empêchés de tournée européenne du fait des règles du Brexit, nous allons nous rabattre sur la scène Rock européenne, qui, dieu merci, est fantastique ! On sait en particulier combien la Belgique est riche en musiques originales et en groupes et artistes talentueux, et on va en avoir la preuve ce soir avec les grands déjantés – et infiniment réjouissants – de The Guru Guru.
Ça commence fort avec une sorte de questionnement existentiel de l’inquiétant – et très drôle – chanteur du quintette de Hassel (dans les Flandres), qui nous interroge avec insistance : « Where’s my rum ? I though I might Have left it… Isn’t it anywhere ? ». Vu qu’il est vêtu d’un pyjama et porte des pantoufles douillettes, et qu’il nous regarde d’un air mi-narquois, mi-malaisant, on ne sait pas trop quoi répondre, honnêtement. « I’m in a good place, man ! » nous rassure cet individu étrange… Pas sûr qu’on le croie sur parole… Mais pour le faire, ça le fait ! Car derrière ce monologue étrange, la tension monte, l’excitation s’accumule… on sent qu’on va passer aux choses sérieuses…
… et les choses « sérieuses », c’est le morceau suivant, Chramer, qui permet de comprendre un peu mieux le type de musique auquel nous avons affaire : assez loin des courants les plus populaires du moment, il y a quelque chose de Math Rock dans ces deux guitares qui tricotent une trame énervée et hululante, avec des tendances baroques quand les chansons se mettent à partir dans tous les sens (Père Ubu semble être une référence souvent citée par le groupe). Mais l’intelligence de tout ça, c’est de ne pas tomber dans l’hermétisme ou la provocation : entre un aspect la plupart du temps accrocheur des refrains (comme sur Honestly (i don’t feel like dancing)…), et l’attitude spectaculaire du front man, on est paradoxalement dans une musique franchement accueillante, presque joyeuse derrière son humour bizarre. Et ça fait vraiment du bien de voir ainsi conjuguées ambitions musicales, spontanéité et même une sorte de festivité : comme quoi, les Belges nous prouvent encore et encore qu’on peut être talentueux et ne pas se prendre la tête, ni être arrogants pour autant.
A noter que le chanteur monte régulièrement sur une sorte de caisse lumineuse placée devant la scène, qu’il actionne du pied, et qui assure de jolis – et brefs – effets de lumière accentuant l’aspect théâtral de sa performance. On aura aussi droit à une courte pause classiquement acoustique (avec ukulélé !) sur un Am I’m Singing qui montre que le groupe a plusieurs cordes à son arc.
La dernière partie du set reprend les titres les plus mémorables de l’album Point Fingers datant de 2020, dont le ravissant (si, si !) Origamiwise, le furieux Mache aux sonorités un peu plus post-rock (mais pas trop, rassurez-vous !), et la pop baroque et puissante de Poverbrigade. Le concert se termine comme il a débuté, avec un monologue inquiétant sur une ambiance mi-lynchienne, mi-lyrique : « Can I talk to the manager ? It’s about room number nine. I really need to speak to the manager, exactly like we did last time ! ». Et c’est très fort, oui !
Dans la fosse, ça a dansé sévère, ça a braillé, mais toujours avec un grand sourire : l’effet bienfaisant de la musique de The Guru Guru ! En dépit de l’heure qui s’avance, le groupe reviendra pour un bref rappel. 50 minutes d’un tel plaisir, on aurait bien aimé pouvoir profiter d’un concert entier.
Après une délibération rapide entre nous, nous élisons à l’unanimité ce concert de The Guru Guru comme le meilleur de la saison ! Et quand on parle d’une saison aux petits oignons comme celle que nous a concoctée le Supersonic cet été, ce n’est pas rien !
Texte : Eric Debarnot
Photos : Robert Gil