Un auteur français de polars qui situe son action au Groenland, et qui nous fait découvrir cet univers inconnu et fascinant qu’est la culture inuite ? ça ne se refuse pas, d’autant qu’au troisième tome, la saga Qaanaaq ne montre pas de signes d’épuisement.
Même si elle commence à faire long feu, la vitalité du polar scandinave nous a alimentés, nous les fans d’énigmes à la foi rudes et sophistiquées, en bons, voire parfois en excellents livres. Pourtant, un territoire géographique restait à peu près inviolé par les méfaits des innombrables serial killers venus du froid : le Groenland, plus grande ile de la planète, fascinant désert glacé sous-peuplé (une cinquantaine de milliers d’habitants seulement) appartenant au minuscule Danemark. Frédéric Mars, écrivain français, a eu la brillante idée d’aller y faire vivre et enquêter son nouveau héros, l’enquêteur Qaanaaq Adriensen, dans un contexte riche en découvertes pour le lecteur, aussi bien en termes de paysages spectaculaires que de coutumes surprenantes chez les Inuits, ce peuple vivant dans le cercle Arctique. On n’épiloguera pas sur le choix – une coquetterie – de Mars d’adopter un pseudonyme local, Mo Malø, pour ces polars, et on soulignera plutôt qu’arrivée à son troisième épisode, Nuuk, paru en 2020, la saga de Qaanaaq reste toute aussi passionnante… et dépaysante.
Si l’on passera gentiment sur le stéréotype – tellement adopté par la majorité d’auteurs – de faire de son personnage principal une sorte de sociopathe aux difficultés relationnelles handicapantes, justifiées ici par une histoire familiale complexe, tout le reste de Nuuk se savoure comme quelque chose de vraiment « frais » (sans mauvais jeu de mots) : l’enquête de Quaanaaq, plus ou moins interdite du fait de son état mental instable, se concentre sur les suicides mystérieux d’adolescents à travers le pays, et sera perturbée par la réception de morceaux (tatoués) de corps qui lui sont envoyés par la poste. Rapidement, Qaanaaq va devoir partir à la recherche d’anciens rituels chamaniques du cru, tout en affrontant l’un des problèmes les plus cruels du pays, le taux de suicide terriblement élevé au sein de la jeunesse.
Si Nuuk démarre plutôt lentement, il ne nous ennuie jamais grâce à ce sentiment de « première fois », et à ces lieux et ces personnages qui nous paraissent totalement originaux, sa dernière partie est formidable : Malø a réussi à construire une énigme remarquable, originale et terrifiante, et surtout fonctionnant à plusieurs niveaux, symbolique, métaphysique, sociologique, psychologique… Bref, on referme Nuuk avec le sentiment rare d’avoir lu un polar différent, et en regrettant seulement quelques facilités scénaristiques – des coïncidences faciles, quelques invraisemblances difficiles à avaler, comme l’accident d’hélicoptère et l’attaque du requin – qui ne gâchent pourtant en rien notre plaisir.
On attend le tome 4, vaguement annoncé par la conclusion de Nuuk, avec impatience.
Eric Debarnot