Si on dit que la colère est mauvaise conseillère, elle est par contre une excellente inspiratrice quand il s’agit de pondre un brûlot punk rock aussi enragé et pertinent que le second album de Chubby and the Gang. No Future ? No Present, plutôt !
« Les noix du clébard » par Joufflu et son gang, voilà un titre élégant pour un disque, s’il en est. Et pourtant, quelque chose nous dit que si Charlie Manning-Walker, qu’il se considère comme joufflu ou pas, se sent à peu près aussi valorisé que les parties génitales d’un canin dans l’Angleterre proto-fasciste de Boris Johnson, il a sûrement de bonnes raisons pour ça. Et que ce second album va nous raconter tout ça en détail, sans nous épargner le moindre détail sordide.
Chubby and the Gang viennent du hardcore londonien – ce qui n’est pas forcément très attirant, soyons honnête, et il reste quelques scories dans leur musique de ce genre désormais assez bas du front -, mais, surprise, surprise ils font désormais une musique que l’on pourrait estampiller « London 1975-76 », exactement à cet endroit et ce moment magique ou le pub rock gueulard se transforme en quelque chose d’autre, qui s’appelle déjà « punk rock ». Mais on peut aussi parler de musique intemporelle car finalement, un peu comme les Ramones qui pourraient être une référence si les morceaux ici ne dépassaient pas parfois les 3 minutes, Chubby and the Gang auraient été pertinents à la fin des années 70 pour se battre contre les voyous du National Front, et ils le sont aujourd’hui pour appeler à la révolte contre le gouvernement menteur et corrompu des Tories.
« You was a kid, what did you know? / Mum threw you out to the rain and the snow / You came up tough, it wasn’t enough / To stop you going down / Against you, the cards were stacked » (T’étais un gosse, qu’est-ce que tu connaissais ? / Ta maman t’a jeté dehors sous la pluie et la neige / Tu es devenu fort, maos ce n’était pas assez / Pour t’empêcher de tomber / Contre toi, les cartes étaient empilées…) : Coming Up Tough, cette étonnante chanson sur un tout jeune homme – d’après ce qu’on a compris, qui est de la famille de Charlie Manning-Walker – condamné à 20 ans de prison, donne le ton : punk rock social anglais. Mais, plus loin, White Rags, chanson très agressive contre la violence policière raciste, en particulier aux USA, illustre encore plus clairement un propos plus universel que l’on aurait pu le penser de prime abord…
Venus de la classe ouvrière, voilà des mecs qui n’y vont pas par quatre chemins pour gueuler contre la barbarie étatique et la violence d’une société qui méprise son prolétariat. Mais aussi des mecs qui ne nous racontent pas de salades non plus : on sent bien à chaque chanson, plus furibarde que la précédente, derrière chaque histoire, qu’on est ici dans le VRAI. Cette colère n’est pas simulée. Si chaque morceau est soit un déversement ininterrompu de colère, soit un aveu d’impuissance, soit encore un constat de désastre, c’est que Chubby and the Gang sont d’une honnêteté totale.
Et c’est ce qui fait le prix de cet album, qui peut faire mal à la tête et aux dents, mais serre régulièrement le cœur, comme à la fin, dans Life’s Lemon : « But every storm, it comes to pass / Thunder and lightning was never meant to last » (Mais chaque orage va passer / Le tonnerre et la foudre n’ont jamais été censés durer) : Charlie proposerait-il enfin une vision plus optimiste de l’existence, avec ce soleil qui pourrait revenir après le mauvais temps ? Raté, puisque cette chanson – la plus… réfléchie, sans doute, du lot – nous parle de la fin d’une histoire d’amour : c’était la passion qui était l’orage, et elle passe elle aussi…
Certes, approchant les trois quarts d’heure, cet album est un peu long : avec quinze chansons, dont une bonne moitié pas dépassent les 2 minutes 30 réglementaires pour ce genre d’assaut sonique, Chubby and the Gang courent le risque de nous lasser. Mais cette durée permet par exemple au groupe de glisser un solo stoogien à la fin d’un Pressure qui atteint les 3 minutes 30, d’inclure sur l’album un Take Me To London étonnamment sage, presque délicat (enfin, on reste quand même dans du brut de pomme, que personne ne se fasse d’illusions !), de glisser un peu de claviers et d’harmonica (hérésie !) sur Life on the Bayou, et même de se la jouer country / blues rude dans Lightning Don’t Strike Twice. Et de terminer par une véritable chanson pop, malicieusement intitulée I Hate the Radio ! Bref, de nous laisser entendre qu’on pourrait passer à des choses encore plus sérieuses au prochain album…
Si les choses ne s’arrangent pas dans Little Britain, ni dans le vaste monde autour. Et, rassurez-vous, comme ça n’en prend pas le chemin, cette saine colère risque bien de durer.
Eric Debarnot