Et voilà, this is the end, beautiful friends : le Supersonic remballe ses gaules, se préparant à regagner ses pénates à la Bastille. C’était la dernière soirée Take me Out de 2021, on espère la dernière pour toujours, car ça voudrait dire que la pandémie nous lâcherait un peu la grappe, enfin ! Et pourtant, on les abandonnera avec regret, ces concerts en plein air, qui, sur ces deux années difficiles, nous ont permis de retrouver les plaisirs de la musique live, envers et contre tout.
Il y a beaucoup de monde ce soir, pour cet adieu, et pour Sonic Velvet, pardon The Underground Youth. Et malgré les températures qui ne sont vraiment pas de saison, et les gouttelettes de pluie qui se pointent de temps en temps, il règne une atmosphère heureuse sur la Terrasse du Trabendo.
20h30 : Péniche, le trio d’Angers amoureux de la Vendée et de la mer, on les avait découvert il y a un an à Rock In The Barn, eux et leur post-punk (ou post-rock ?) instrumental et pas anglo-saxon pour un rond. Mais ils sont beaucoup plus impressionnants dans la nuit parisienne alors que la pluie menace qu’au chaud soleil d’une superbe après-midi normande : question d’atmosphère, bien entendu, à moins que ces jeunes gens aient encore progressé depuis la dernière fois. En tous cas, ils nous ont offert 40 minutes d’ivresse, de navigation épique au milieu des embruns, sous les coups de tonnerre, et en affrontant des menaces sous-marines ineffables. Succession ininterrompue de tempêtes sonores du plus bel effet, navires éventrés sur les récifs alors que montent les cris des marins damnés, les images s’accumulent, l’imagination travaille. Toujours intense, régulièrement spectaculaire même, grâce au « jeu de scène » envoûté des musiciens, parfois hystérique quand la batterie s’emballe, voilà une musique qui raconte des histoires et implique aussi bien le corps et la tête. La basse est tellurique, selon l’expression consacrée, la guitare crie et pleure, et le public de la terrasse du Trabendo est noyé. Et heureux. Et en plus, quels titres : Vendée Globe, Cargo, le Phare ! Tous des tubes, comme le répète ironiquement le groupe. Des tubes ? Peut-être pas, mais ils le mériteraient.
21h45 : The Underground Youth, c’est à l’origine un couple de Mancuniens, Craig et Olya Dyer, qui ne se sont jamais remis de la musique très sombre des années 80, et perpétuent une tradition allant de Joy Division à The Jesus and Mary Chain, en passant par Bauhaus. Olya est à la batterie, c’est-à-dire un kit minimal derrière lequel elle est debout et sur lequel elle frappe rythmiquement comme Moe Tucker nous a appris qu’il était super cool de le faire. Aujourd’hui basés à Berlin – ce qui permet à The Underground Youth de jouer à Paris en dépit des barrières administratives causées par le Brexit -, le couple est passé à un format de quatuor, et a considérablement durci sa musique, qui a pris ce soir des allures de bacchanale électrique joliment assourdissante.
Jouant dans une quasi obscurité assez rituelle pour ce genre de musique – ce qui ne réjouira pas tous ceux qui auraient aimé conserver des souvenirs photographiques de la soirée -, plutôt élégants sur scène, grâce en particulier à un bassiste à la présence imposante qui ne ménage pas ses mouvements, The Underground Youth souffre néanmoins d’une trop grande uniformité de son set, qui va peu à peu, malgré notre enthousiasme initial, plonger une grande majorité du public dans une sorte d’ennui poli : pas assez d’accélérations rythmiques, ni de montées en intensité (on a dû compter trois moments en tout et pour tout sur un set de 1h10 où Craig a eu l’air de s’énerver un peu !), juste une longue litanie de morceaux à la rythmique semblable où le chant lugubre – façon Peter Murphy – de Craig finit par lasser.
Si la toute fin du set a amélioré un peu notre impression générale, Craig étant venu au contact des premiers rangs, et le rappel ayant inclus un morceau un peu plus punk rock, la seule véritable satisfaction qu’on ait tiré de ce concert paradoxalement trop long est le niveau sonore délicieusement excessif. C’est déjà bien, mais ce n’est clairement pas suffisant. Et puis, admettons aussi que, quel que soit l’amour que nous avons tous porté à la cold wave ou au rock psyché des années 80/90, il serait temps pour The Underground Youth de passer à autre chose, non ?
Mais cette petite réserve ne nous empêchera pas de célébrer une dernière fois le travail formidable effectué encore cette année par les équipes du Supersonic et du Trabendo, pour nous abreuver en musiques formidables. Ni le bonheur que nous avons tous profondément ressenti hier soir à retrouver un peu un sentiment de « normalité », de communauté unie par l’amour de la musique.
Photos : Robert Gil
Texte : Eric Debarnot