Si l’on ne rechigne jamais devant un bon film d’action à la manière des années 90, qui plus est avec une petite ambiance paranoïaque, Sweet Girl échoue malheureusement à remplir son contrat de divertissement de base, par la faute d’une sorte de confusion permanente régnant dans son scénario.
Nous vivons une époque où – l’activité sur les réseaux sociaux en témoigne – les « grands méchants » sont les multinationales pharmaceutiques faisant passer leur profit devant la santé de l’humanité, les investisseurs qui les financent et les politiciens corrompus qui leur permettent d’agir impunément. Il était donc logique que le cinéma « populaire » (entendez : sans aucune ambition autre que de recruter à peu de frais le plus de (télé)spectateurs possibles) fassent d’une famille US lambda les innocentes victimes des agissements de ces nouveaux criminels : Sweet Girl s’y colle, sans se livrer à trop de réflexion politique sur le fait que ce qui tue effectivement la mère de famille de son scénario, c’est l’absence d’un système de santé digne de ce nom aux USA. Oh, il y a bien une remarque rapide faite par la jeune héroïne sur le fait qu’il fallait soutenir l’Obamacare, mais ça s’arrête là : il est vrai qu’il est plus cinégénique – même si totalement illogique – de montrer un père de famille tuant de ses mains des grands pontes de Big Pharma (qui ne savent pas d’ailleurs la différence entre l’Inde et l’Afrique, et, surtout, s’en moquent…) que de filmer un quelconque engagement politique visant à changer les règles du jeu US.
Mais on imagine que le « projet », s’il y en avait un au départ, de Brian Andrew Mendoza et de son équipe était avant tout de filmer Aquaman… pardon, Jason Momoa en briseur de crânes brutal mais sympathique, et rien d’autre. Et ça marche quelque temps jusqu’à ce que nous nous rendions compte que les scénaristes de Sweet Girl ne savent décidément pas s’ils veulent nous raconter l’histoire d’un père et d’une fille en fuite pour échapper à des tueurs lancés à leur trousse, ou bien au contraire l’enquête périlleuse menée par les victimes d’une conspiration politique : ils tentent de faire les deux en même temps (ayant peut-être en ligne de mire quelque chose comme une actualisation du classique Fugitif) et échouent : le manque de crédibilité de la plupart des situations s’avère rapidement tragique, mais empire encore lorsqu’apparaît comme un chien au milieu d’un jeu de quille un tueur impitoyable – mais pas très effrayant, finalement. Sweet Girl finit de se ridiculiser complètement avec un « twist » aberrant (mais prévisible pour quiconque est rompu à l’exercice de déchiffrage des clichés cinématographiques…) à une demi-heure de la fin. Le film bascule alors, rétrospectivement, du hautement improbable à l’absolument impossible… A partir de là, plus personne ni devant, ni « derrière » l’écran, n’en a clairement plus rien à faire de ce que Sweet Girl raconte, et le récit peut finir de s’émietter dans un final sans aucune substance.
Même si l’on peut reconnaître une certaine compétence dans la mise en scène efficace et lisible de Mendoza – dont c’est le premier long-métrage -, et un zeste de charisme à Momoa en brute épaisse et bon père de famille, on ne dépasse jamais ici le minimum syndical en termes de recopie studieuse de scènes d’action « classiques », vues des centaines de fois dans des films plus substantiels…
Mais même ces toutes petites qualités sont condamnées à disparaître au milieu de la confusion générale et de la désorganisation fatale d’un scénario, exemplaire en termes d’incohérence.
Eric Debarnot