Visuals, le second album de Kunzite (Mike Stroud et Augustin White.), est un morceau de bravoure décapant, drôle, joyeux, sophistiqué. Un album qui nous embarque dans un road-trip halluciné au milieu d’une jungle sonore. Jouissif.
Après Birds don’t fly (2018), dont on se souvient plutôt comme d’un album plutôt reggae que funky – ce qui n’est pas un défaut – mais assez inégal, Kunzite sort son second album : Visuals. Et, on change de niveau. Un album barré, perché. 14 morceaux, presque une heure d’une musique organique chaude qui pulse et vibre, groovy à souhait, disco ce qu’il faut, psychédélique comme on aime. Une musique qui vit, qui donne envie de se lever et de s’agiter, et immédiatement de se rassoir pour en profiter. Une musique jouissive, drôle et joyeuse, sérieuse et dansante. Une musique qui s’écoute les pieds dans les nuages et la tête dans son canapé. Une musique sophistiquée, pleine de couches de basses rondes, de guitares grinçantes, de rythmes un peu africains et moyen orientaux, avec quelques nappes électro un peu planantes et autres sons étranges. Et les voix : aigües ou évaporées mais essentielles – structurant les morceaux, leur donnant leur force et leur originalité.
Pour replacer les choses, Kunzite est un duo forme de Mike Stroud et Augustin White. Le premier était une moitié de l’excellent duo rock electro Ratatat – dont Seventeen Years le premier album date quand même de 2004 et Magnifique, le dernier date de 2015. Le second membre, Justin Roelofs, portait le projet White Flight, dont l’album éponyme de 2007 plutôt largement recensé avait reçu un accueil plutôt en demi-teinte. White s’est engagé, entre autres choses, dans des collaborations : Kunzite avec Stroud, donc, mais Abuela aussi avec… l’autre moitié de Ratatat, Evan Mast – lequel sort d’ailleurs égalmetn un album en 2021 sous le pseudo E.VAX. Ouf… et quand on ajoute que Ratatat avait contribué au second et dernier album jamais diffusé de White Flight… bref, une quasi-affaire de famille.
Difficile d’ailleurs d’échapper totalement à Ratatat. C’est peut-être ce qui vient à l’oreille à la première écoute. Ce son, ces guitares, mais aussi cette joie pure d’écouter de la musique en se laissant aller totalement. Mais peu importe, en fait. D’abord parce qu’il faut que Mike Stroud fasse ce qu’il sache faire et qu’Augustin White l’accompagne, et qu’ils combinent leurs savoir-faire. Aussi parce qu’à force, Kunzite semble acquérir son identité, une identité qui n’avait pas tellement franchement marqué sur Birds on Fly. Kunzite devient Kunzite, pour le meilleur.
Oui, franchement, le meilleur. 14 morceaux très, très bons, parmi lesquels il est difficile de choisir, qu’il est même difficile de différencier dès qu’on se sent embarqué dans ce road trip psychédélique, dans cette traversée d’une jungle de sons, de mélodies prenantes. L’impression se ressent dès l’excellentissime et irrésistible Lemon Swayze – la version de l’album, bien meilleure que celle pour les radios. Avec son rythme diabolique, ses solos de guitares déchirées, ses voix haut perchées. Une pépite. Suivie par une autre pépite, Novas, un peu plus lent mais tout aussi délirant et jouissif. Comme les vidéos de ces deux morceaux d’ailleurs.
Sur Novas, un lapin « à la Donnie Darko » en survêt noir et un… extraterrestre ? en costume d’infirmier qui se trémoussent, Mike Stroud et Augustin White qui jouent de la guitare perdus dans un désert magnifique… entre disco et new age, yoga et dancefloor. Après ces deux morceaux introductifs, le rythme se relâche un peu sur Flux – un peu plus lent – mais Jupiter, Satrun en remettent une couche avec leurs rythmes effrénés et quasi-orientaux, leurs solos de guitares (toujours ce son Ratatat!). Frosty – autre single, autre vidéo fantastique – a aussi un petit très psychédélique planant-méditatif-new age. Ce même côté qu’on retrouve sur le fantastique Supreme Beam – un morceau qui groove avec de la flûte de pan. Ou l’extraordinaire PLN – après une intro lente assez longue, mais le morceau fait 6 minutes – ça danse et ça swingue, avec des voix évaporées qui sont parties ailleurs. Nous aussi. Voilà un album qui fait du bien.
Alain Marciano