Moins drôle, plus complexe, plus engagée dans l’analyse de nos comportements au sein d’une société dysfonctionnelle, mais toujours aussi fine, la dernière nouvelle aventure de Lapinot, Midi à Quatorze Heures surprend et passionne.
Un couple se forme, celui de Lapinot avec sa nouvelle amie, qui n’est pas quelqu’un de facile à vivre, on l’a découvert dans un tome précédent de la drôle de « nouvelle » saga de Lewis Trondheim, Un Peu d’Amour, où elle harcelait notre pauvre lapin-mort vivant en le traitant de nazi ! Un couple se défait, à la surprise générale, mais derrière cet apparent désamour, se cache une histoire beaucoup plus complexe qu’il ne semble au premier abord. Et pour la découvrir, il va falloir réellement chercher Midi à Quatorze Heures, contrairement à ce que prétend la sagesse populaire.
Avec ce… septième tome (mais où est passé le sixième ?) des Nouvelles Aventures de Lapinot, Trondheim poursuit dans ce nouveau style qui s’est progressivement imposé au fil de ses histoires : l’humour est peu à peu abandonné, ou bien tout au moins n’est plus central, et c’est surtout à l’ineffable Richard – qui s’assagit quand même pas mal lui aussi – qu’est laissée la responsabilité de nous faire sourire ; les sujets sociaux et politiques sont au cœur de l’histoire, à part égale avec les atermoiements et les déboires sentimentaux de nos héros. Et puis, comme dans la toute dernière partie de ce Midi à Quatorze Heures, Trondheim ne rechigne pas à instaurer une certaine tension : on n’en est pas encore au « thriller », mais ça pourrait être une piste pour l’avenir.
On sent donc encore plus clairement ici que dans l’Apocalypse Joyeuse Lewis Trondheim à la fois passionné par l’évolution de notre société, et, inévitablement – on connaît les tendances dépressives de l’auteur – raisonnablement pessimiste quant à l’évolution de nos comportements, et de nos rapports les uns avec les autres.
A la fin, le pire a été évité de justesse – ne spoilons pas trop -, et Lapinot et Richard (oui, Richard !) aussi ont un boulot. Comme a été aussi évoquée ici la possibilité de la conception d’un enfant, on attend avec une vraie impatience les prochains tomes, qui devraient permettre d’explorer des territoires encore vierges dans la série. Si l’on peut regretter la charge facile contre l’Art Moderne, un peu indigne de Trondheim, il faut admettre que, même s’il ne nous a pas fait beaucoup rire, Midi à Quatorze Heures nous a intrigués et même passionnés.
Espérons quand même que le grand public, qui semble l’abandonner peu à peu (et qui n’a jamais massivement suivi son travail, avouons-le) le suivra dans cette nouvelle direction. Car Lewis Trondheim reste un maître.
PS : A quand le Lapinot consacré au Covid19 ? Seulement rapidement évoquée ici, la situation pandémique serait un sujet parfait pour Trondheim. Serait-ce là le sujet du mystérieux Tome 6 ?
Eric Debarnot