Retour sur scène des précieux Têtes Raides, qui font toujours des miracles, et découverte d’un quatuor étonnant, ARCAN, dans une Olympia survoltée. « ça va ? » nous a demandé Christian Olivier. « Maintenant, oui, ça va ! »
Ce soir, debout à la barrière de l’Olympia, attendant que la salle se remplisse doucement, il flotte dans l’air une sorte de doux sentiment de « retour à la normale ». Auquel on n’ose pas vraiment croire. Mais même si on ne sait quel nouveau variant mettra tout ça à bas dans quelques semaines, on se dit qu’on aura au moins vécu ça : un concert dans de bonnes conditions, dans la fosse, sans sièges, pour le retour de nos chères Têtes Raides, qui annoncent le lancement d’un nouvel album, Bing Bang Boum, leur premier depuis Les Terriens en 2014. Et ça, ça nous rend heureux, au moins pour une soirée.
20h00 : en première partie, ARCAN, un groupe parisien que nous allons découvrir sur scène, alors qu’ils existent depuis… une dizaine d’années ! Ce relatif anonymat semble d’ailleurs immédiatement étonnant, tant ce qui se passe sur scène est… étrange, ce qui, pour nous, est une fichue qualité ! Les trois premières chansons sont interprétées par Pierre-Antoine Combard, le leader, en haute-contre ! Qui plus est, cette musique semble serpenter comme du bon vieux Radiohead, à la recherche d’une émotion nue. Et pure. Bon, on comprend qu’une approche aussi ambitieuse, singulière, n’est pas la manière la plus simple de gagner l’adhésion du public, et pourtant ça marche, ce soir, à l’Olympia. Il y a aussi cette guitare impressionnante qui vient balayer d’une vague « noise » puissante les conclusions des morceaux. Et puis, peu à peu, alors qu’ARCAN a toute notre attention, on regagne les rivages d’un rock plus « normal », ce qui ne veut pas dire ordinaire. Le final du set (Expression) irait presque chercher un lyrisme et une puissance digne d’un rock de stade, qui saurait pourtant conserver toute son élégance. Le public de l’Olympia est conquis. Ah oui, visuellement, ARCAN, c’est un quatuor et le Pierre-Antoine, tout de jeans vêtu et très élégant, porte une casquette comme les titis parisiens du siècle dernier, qui n’a rien à voir avec la musique du groupe. Ou peut-être au contraire que si… Très belle découverte, en tous cas.
20h50 : Un énorme gyrophare rouge et une sirène assourdissante annoncent l’entrée sur scène des huit musiciens de Têtes Raides, et un frémissement d’excitation parcourt le public, tout entier composé de fans absolus de ce groupe si singulier. Notre histoire d’amour avec Têtes Raides remonte aux années 90, et à ces sets incendiaires et émotionnellement bouleversants qui établirent alors leur réputation, et chaque fois qu’on les revoit, on espère que le miracle se reproduira. Et, croyez-le ou non, il se reproduit.
Le concert de ce soir, on le réalise très vite, n’est pas consacré comme nous le pensions à la promotion du nouvel album qui va sortir à la fin du mois – même si le premier morceau, très anxiogène et impressionnant avec Christian qui clame les textes dans son portevoix, puis soulève la foule par ses questions (« ça va ? ») est une nouveauté : non, nous sommes ici pour célébrer les « 30 ans de Ginette », un anniversaire dont nous avions été privés l’année dernière du fait des circonstances qu’on connaît. Ce qui signifie que la setlist revisite la quasi-totalité de la carrière du groupe, avec seulement un ou deux titres extraits de chaque album : il y en aura donc pour tous les goûts, pour caresser notre nostalgie dans le sens du poil comme pour nous étonner en nous remémorant certains virages artistiques audacieux pris par la bande à Christian Olivier au fil du temps.
Bien entendu, sans véritable surprise, nous pourrons, au cours de l’heure cinquante que va durer ce concert très généreux, nous émerveiller sur l’impact toujours intact des hymnes immenses du groupe, avec au premier rang le duo infernal formé par Gino (largement chanté par le public, ce qui impressionne, amuse et même irrite peut-être un peu Christian) et Ginette (toujours ce même moment de poésie pure, avec cette lampe qui virevolte au-dessus du groupe et de nos têtes, au premier rang, cette lampe rustique qui s’appelle donc Ginette…).
Mais nous allons aussi tanguer sur la musique de cirque de Chamboultou, pogoter sur le ska cuivré de Journal (avec son texte à la rage képon des origines : « Allez les enfants ! Tuez vos parents ! »), lever le poing sur le rock martial de Civili comme à l’époque des rangs fournis de la gauche, sentir notre cœur se serrer sur l’atmosphère nostalgique de Des Silences, nous émerveiller devant l’idée frappante de cette énorme tête de mort qui va venir coiffer Christian. Et puis bien sûr, faire la fête tous ensemble quand la musique assume toute la fantaisie surréaliste des beaux textes de Christian Olivier, et quand l’accordéon convoque une France imaginaire au cœur et aux bras ouverts. Et combien de fois les larmes auront-elles rempli nos yeux ce soir ? Impossible de les compter, et c’est surtout là, le miracle dont nous parlions plus tôt.
S’il y a un léger bémol à émettre quant au principe de cette setlist « pot-pourri », c’est que le changement permanent de format du groupe, du quatuor rock électrique à la troupe entière, cuivres et cordes en bannière, et les ruptures régulières d’atmosphère nous auront parfois frustrés : certaines ambiances auraient mérité de se prolonger, alors que nous étions obligés, d’un coup, de repartir quasiment en sens inverse. Mais on comprend bien que c’est le prix à payer si l’on veut revisiter en moins de deux heures toutes les incarnations de Têtes Raides !
Le rappel, en tous cas, fut magnifique : après un petit speech bienvenu de Christian sur l’importance de la musique et des gens qui l’ont fait vivre durant la dernière année et demie, c’est… l’Iditenté, ce morceau militant co-écrit avec Noir Désir, dont le texte militant en faveur l’accueil des migrants est toujours plus essentiel en notre époque troublée : « Que Paris est beau quand chantent les oiseaux / Que Paris est laid quand il se croit français ! ».
Et puis, c’est… St Vincent, sublime. Un peu comme si Cohen avait été parisien au lieu de montréalais. Avant de se transformer en un nouveau jeu avec le public qui a toujours envie de chanter. On finira par la valse musette de Emily, chantée a capella, qui nous remplira encore les yeux de cette foutue eau qui n’arrête pas de couler.
Et après, quand ce fut fini, eh bien… nous n’avions plus vu depuis longtemps un public rester une bonne quinzaine de minutes après le concert, dans l’escalier de l’Olympia, en train de chanter ensemble – oui, en chœur et ad lib – Ginette : ça devait dater des débuts d’Arcade Fire, quand on braillait tous Rebellion dans ce même endroit… Et puis nous nous sommes aussi dit que c’était dommage que ce groupe n’ait pas gardé une plus grande partie de son public punk des débuts (Red Ted, avant Têtes Raides…), car il y a eu deux trois moments ce soir qui auraient pu donner des pogos d’enfer !
Magique, on vous le répète… « Et c’est tout. »
Texte et photos : Eric Debarnot