Lorsque nous avions assisté à une première interprétation, en format duo, des impressionnantes chansons de l’album Olivier Rocabois Goes Too Far, Olivier nous avait promis une version “avec groupe complet” dès la rentrée. Nous y voici enfin, impatients de pouvoir juger sur pièce, dans le sous-sol de l’International.
A 20h20, donc avec déjà un peu de retard sur l’horaire, c’est Lucie Shame qui monte sur la petite scène, devant un public encore assez clairsemé, malheureusement ? Lucie est une petite femme nerveuse – elle avouera un peu plus tard avoir eu pas mal d’angoisses avant ce set, espérant même qu’une comète s’écraserait sur Paris et détruirait l’International ! – qui interprète en solo à la guitare électrique et en anglais des chansons très personnelles, et dans l’ensemble, on l’aura compris rapidement, plutôt rugueuses. Même si ce sont des références un peu écrasantes peut-être pour une artiste qui est encore en début de trajectoire, on pense au premier album de PJ Harvey ou à l’apparition de Courtney Barnett : Lucie, seule et courageuse, chante des chansons électriques et honnêtes… (quand elle chante une chanson d’amour, c’est une chanson de rupture, nous prévient-elle…).
Avec Lucie, hypersensible, assumant le risque d’une certaine maladresse, ça passe ou ça casse. Et la plupart du temps ça passe, comme le prouvera la réaction très encourageante du public. Bien sûr on aime plus, idiots que nous sommes, quand la guitare devient brutale et que les chansons adoptent plus franchement une structure Rock. Pourtant, le plus beau moment du set, ce sera une mise en musique d’un poème érotique (saphique, précise Lucie) de Verlaine… Qui nous fait dire une fois encore qu’il faut oser, oui vraiment oser à nouveau le français dans le Rock (bon, on admettra que tout le monde n’écrit pas comme Verlaine)… Dommage que le bruit des conversations au bar – trop proche – couvre parfois les émotions très subtiles des chansons, mais à la fin, sous les applaudissements, Lucie est fière d’avoir surmonté son trac.
On nous annonce qu’en supplément de programme, nous pourrons écouter trois chansons d’une très jeune artiste – pas même majeure ! nous dit-on… Elise a une voix soul en effet étonnante, et elle chante – en s’accompagnant au piano – deux reprises et une composition personnelle (Waiting for Nothing). Elle termine par une version soul finalement assez culottée de Bohemian Rhapsody.
Il est déjà 21h35 quand Gervaise, avec l’énergie d’un cyclone, investit la scène avec ses deux boys à paillettes qui l’accompagnent aux claviers, guitare et basse. Son public, très passionné, est là pour la soutenir, et le public d’Olivier reflue et retourner au bar à l’étage au-dessus. Gervaise est une fille formidable, elle déborde donc d’énergie, mais elle irradie aussi une sympathie naturelle. Elle chante bien, elle bouge avec une présence évidente et avec une aisance communicative. Après, ce genre de pop contemporaine (enfin ce qu’on appelle « pop » en ce moment), à la fois très directe et très synthétique, n’est pas forcément de notre goût. « Une badass à cœur grenadine », voilà comment se définit Gervaise elle-même, sans craindre les clichés, avant d’ajouter : « j’ai trop de choses à dire », avec enthousiasme et générosité. Elle est d’ailleurs capable de gérer sans perdre son calme un gros problème technique qui l’obligera à reprendre deux fois l’un de ses morceaux.
Mais plus le set avance, plus on réalise que ses textes ont une force indéniable (allez, on n’a pas peur de le répéter : pourquoi est-ce que les rockers laissent notre belle langue aux rappeurs et à la « pop »?). D’ailleurs, quand Gervaise abandonne la pop à paillettes et nous offre une chanson intime, seule à la guitare électrique, il se passe quelque chose (Quand j‘enlève tout). Le final du set de 45 minutes arrivera même à nous embarquer, en dépit de nos réticences initiales, avec un manifeste féminin plus que féministe (Je féminin), une conclusion positive mais ambiguë (Sad &Seule), et une conclusion a capella (Fuck mon corps) saisissant sur les difficultés d’aimer son corps quand on est une femme. On a apprécié être retournés ainsi par Gervaise et passer au cours du set d’une forme de rejet initial à une vraie adhésion émotionnelle. Bravo, l’artiste !
Il est déjà 22h55, soit plus d’une heure de retard quand Olivier Rocabois lance son set. Le public a été entièrement renouvelé par rapport au set précédent, ce qui est quelque part dommage : ne devrions-nous pas tous essayer de faire le grand écart entre les genres musicaux pour nous remettre en question ?
Olivier est accompagné de son fidèle acolyte, le brillant Jan Stümke aux claviers, et de deux musiciens supplémentaires à la basse et à la batterie. Le son est malheureusement trop confus et dessert la splendeur des chansons, la voix d’Olivier souffrant d’être trop en retrait. Le format groupe apporte comme espéré une belle énergie, mais dilue aussi la beauté de certains passages mélodiques, la section rythmique paraissant parfois décalée par rapport à la guitare et au piano. Les moments de montée en puissance des morceaux convainquent, ajoutent un lyrisme bienvenu aux chansons, mais n’est-ce pas un peu aux dépends de l’émotion ? Cette première partie du set est en deçà de ce que nous espérions… jusqu’à un break acoustique solo : la belle chanson Over the Moon – qu’Olivier qualifie pourtant de « chanson toujours en gestation » – nous montre à nouveau le « vrai Rocabois »…
Et c’est ensuite que les choses se mettent vraiment en place : l’apport d’un second guitariste redonne de l’espace, du souffle à la musique : on pourrait même parler – paradoxalement – d’une plus grande légèreté de l’ensemble ! Et cette dernière partie du set va être enfin comme on l’attendait : magnifique. Arise Sir Richard est puissant ; Péplum (le titre sur la setlist de My Wounds Started Healing), avec ses quatre parties distinctes – une chanson qu’Olivier estimait très difficile à interpréter sur scène ! – est un sommet ; Hometown Boys est le tube réjouissant qu’on aime tous… et, en « auto-rappel » (dixit Olivier…), Ship of Women – un single qui n’aurait pas déparé sur l’album, à notre avis – confirme sa classe.
60 minutes irrégulières mais qui confirment l’ampleur du talent et de la musique de Rocabois. Gageons qu’avec un peu plus de pratique dans le format groupe, et dans des conditions meilleures, tout ça va encore s’améliorer et rendre mieux justice à l’album ! A bientôt, Olivier !
Texte : Eric Debarnot
Photos : Laurent Devoille / Eric Debarnot
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