Les Liégeois furieux de It It Anita ont prouvé mercredi soir au Point Ephémère qu’ils n’avaient guère d’équivalent actuellement quand il s’agissait de faire passer un véritable rouleau compresseur sonique sur leur public en transe. Et en première partie Princess Thailand nous a donné une raison (bruyante) de plus d’aimer Toulouse.
Encore une soirée qui sent un retour à des concerts plus « libres » : la release party – retardée – du dernier album de It It Anita, transférée du Petit Bain au Point Ephémère, est l’occasion de se retrouver enfin ensemble avec des amis peu vus depuis de nombreux mois, et d’espérer ensemble un retour sur le territoire français de groupes britanniques ou américains. Planent toutefois en ce moment les échos terribles du procès de l’attentat du Bataclan qui a débuté et qui concerne de près nombre d’amis, de connaissances, et nous touche tous, amoureux de rock’n’roll et de liberté.
20h45 : les Toulousains de Princess Thailand ouvrent le bal ce soir, et impressionnent d’entrée avec leur rock sonique, puissant et déstructuré. Deux guitares, un clavier (ou une basse), une batterie minimale, ça leur suffit pour jouer une musique atypique, construite sur des stridences saturées, avec, si l’on veut chercher des références, quelque chose de la folie torrentielle de Sonic Youth ou encore du son des premiers Cocteau Twins. Par là-dessus, les exhortations de la chanteuse, Aniela, intense et emportée, viennent chercher le contact avec le public. Princess Thailand excite, effraie, surprend, nous fait plein de choses intéressantes. Que les morceaux soient rapides ou au contraire suspendus, la conviction des musiciens et l’agressivité de la voix convainquent. A la fin, le groupe s’engouffre dans une bacchanale sonore, la chanteuse et le bassiste sont dans la fosse avec nous, le reste du groupe sur scène, c’est très beau. S’il y avait quelques petites réserves à émettre, ce serait que la voix n’est pas toujours bien placée – mais l’énergie généreuse fait passer ces imperfections – et aussi qu’on frôle régulièrement l’extase sans jamais l’atteindre pleinement. Mais de ce (relatif) échec-là, j’imagine que le public du Point Éphémère, trop calme, porte une part de responsabilité.
21h55 : les Liégeois de It It Anita se distinguent tout d’abord par une organisation de la scène peu commune : le quatuor est disposé en carré, entouré par les amplis qui sont dirigés vers l’intérieur de ce carré, et non vers le public. Ils se font face deux à deux, se présentant de profil aux spectateurs : tout cela peut donner l’impression au départ d’un groupe qui joue pour lui-même, de musiciens qui préfèrent être entre eux que s’ouvrir vers l’extérieur. Mais dès qu’explose (littéralement) User Guide, on comprend que cette disposition permet avant tout aux membres du quatuor de s’appuyer les uns sur les autres, de s’entraider, de faire bloc ensemble pour que jaillisse la musique littéralement inouïe qu’ils produisent, et qu’ils nous offrent. Oui, qu’ils nous offrent, même si l’incroyable puissance qu’ils dégagent ne tolère guère de refus de notre part !
L’écoute des albums de It It Anita, et même de leur excellent Sauvé, sorti cette année, ne prépare aucunement à l’expérience scénique. Car peu de groupes que nous ayons vu jouent avec une telle intensité, une telle violence (on a dû revenir dans notre mémoire à l’interprétation live du Beaster par le Sugar de Bob Mould pour retrouver l’équivalent…) : peu importe les étiquettes qu’on colle sur leur musique – punk rock, noise, metal même parfois – elles sont absolument dépassées, ridiculisées par la furie sonique qui s’abat sur nous. L’un des qualificatifs que nous avons entendus autour de nous, au bout d’une heure cinq de musique totalement radicale, est « rouleau compresseur ». Et en effet, que l’on soit au milieu du moshpit en train de sauter dans tous les sens, ou bien accroché à scène en essayant de survivre au milieu de l’ouragan, on perd peu à peu notion du temps, on ne reconnaît plus vraiment les morceaux qu’on aime pourtant tellement, on est tout simplement laminé par cette violence démentielle que dégage It It Anita. Une violence bien entendu, c’est évident mais cela ne coûte rien de le dire, totalement positive, qui semble nous laver peu à peu de toute la saleté de notre vie quotidienne, qui nous purifie de nos angoisses, de nos tourments : ce n’est pas un hasard si l’un des amplis du groupe porte en lettres argentées le mot « LOVE » !
On a, même si c’est injuste vis-à-vis des trois autres musiciens, envie de pointer particulièrement du jeu de batterie littéralement forcené de Bryan Hayart, incroyable moteur à explosion de la musique furieuse du groupe. C’est d’ailleurs lui qui conduit le déménagement – rituel – du groupe au milieu de la fosse, qui conclura le set : on sourit quand on le voit installer son tapis de sol, avant qu’on lui passe un à un certains éléments de son kit de batterie, mais quand le morceau (Imposter) reprend, avec la section rythmique au centre du Point Ephémère, et les deux guitaristes continuant à invoquer l’apocalypse scénique sur scène, personne n’a envie de rire. Juste de sauter en l’air en hurlant jusqu’au bout de la nuit.
Mais bien entendu, tout a une fin, et tout le monde, musiciens comme spectateurs, est bien rincé par ce traitement de choc, d’autant que la température dans la salle a été très élevée ce soir. Et nous sommes repartis dans la nuit, rentrés chez nous pour récupérer physiquement : la pluie avait cessé, nos oreilles bourdonnaient, mais nous avions les idées bien plus claires. Sauvés (… une fois encore par le Rock ‘n’Roll) !
Photos : Robert Gil
Texte : Eric Debarnot