Ce n’est pas tous les jours qu’on a l’occasion de se réjouir d’un film fantastique bien interprété, réalisé avec soin et basé sur un scénario aussi original que passionnant : la Proie d’une Ombre n’est malheureusement pas un chef d’œuvre, mais c’est toutefois un beau film.
On est suffisamment sevrés de « bons » films fantastiques, ou devrait-on dire, de films fantastiques qui ne sont pas que des véhicules mal assemblés pour des plaisirs régressifs, que chaque jeune réalisateur manifestant un tant soit peu d’ambitions dans le domaine ravive nos espoirs d’une revalorisation éventuelle de ce genre fort déprécié.
The Night House – si l’on préfère le titre original du film, passe-partout et moins malin que le titre français, pour une fois bien vu, la Proie d’une Ombre – est seulement le second film de David Bruckner, après Le Rituel en 2017, mais, si l’on n’est pas aussi clairement en face d’un véritable « auteur » comme Ari Aster par exemple, on sent qu’on a affaire à quelqu’un qui prend son sujet au sérieux, et ne profite pas de la moindre occasion offerte par son scénario pour nous infliger un jump scare ou pour créer une terreur factice afin de maintenir une pression artificielle sur son public. Cette évidente qualité – en termes purement cinématographiques – peut néanmoins se retourner contre la Proie d’une Ombre, les spectateurs habitués aux sensations extrêmes et à la franche manipulation du cinéma de genre se plaignant souvent que le film soit lent !
On sent plutôt chez Bruckner le respect d’un scénario complexe et riche en niveaux de lecture, dont il ne faut rien dire pour que le spectateur découvre avec la protagoniste, très graduellement, le secret de lui cachait son mari décédé : Owen vient en effet de se suicider, laissant Beth très en colère et surtout désorientée par le fait qu’il n’avait jamais laissé paraître la moindre inclinaison à la dépression. Si les prémisses du film sont très classiques, et pas forcément excitantes, puisqu’il s’agit d’une jeune femme découvrant, maintenant qu’elle vit seule dans une maison isolée construite par son mari, une présence menaçante, la hantant autant dans ses rêves que, possiblement, dans la vie réelle.
Prenant la forme d’un thriller, ou tout au moins d’un mystère qui se dévoile peu à peu, avec fausses pistes jusqu’à une très belle révélation finale qui jette une lumière différente sur tout ce qui a précédé – soit un scénario intelligent sans être, pour une fois, manipulateur -, la Proie d’une Ombre mérite de rejoindre la liste finalement assez réduite de « classiques » du cinéma fantastique. Si la réalisation de Bruckner est un peu passe-partout (on a dit déjà qu’on n’avait pas le sentiment d’être face à un futur « grand auteur »), elle est également avant tout au service de son récit, mais aussi de l’interprétation remarquable de Rebecca Hall, excellente actrice qui semble faire des aller-retours entre cinéma d’auteur (chez Woody Allen dans Vicky Cristina Barcelona et Un Jour de Pluie à New York) et cinéma fantastique (dans la brillante série Tales From the Loop ou dans… Godzilla vs Kong).
Les répercussions du drame intime qu’a traversé le couple Beth-Owen, à l’insu de Beth, la question de la responsabilité de chacun vis-à-vis de la personne dont on partage la vie – et des extrêmes auxquels nous pourrions, chacun d’entre nous, aller pour protéger un être aimé -, sont ce qui nous reste en tête en sortant de la Proie de l’Ombre, beaucoup plus que les souvenirs de quelques scènes certes effrayantes. Et c’est un très bon signe.
PS : Rendez vous service à vous-même, évitez la bande annonce, qui, comme souvent, en dit trop.
Eric Debarnot