Si vous aspirez à mieux comprendre les arcanes du monde contemporain, Bob Denard est une fascinante, bien que sinistre, initiation aux relations internationales !
En 1995, la conquête des Comores, le scandale diplomatique et l’intervention militaire française valurent à Bob Denard et à sa trentaine d’affreux leur heure de gloire. Le procès et les condamnations bénignes suscitèrent peu d’écho.
Trop jeune pour combattre les Nazis, Denard s’engage à 16 ans dans la marine. Volontaire pour l’Indochine, il aime le baroud, mais déteste la discipline. Il quitte l’armée et se met à son compte. Dans cet extraordinaire ouvrage, Olivier Jouvray nous raconte sa vie, passablement agitée. Dialoguant avec la Mort, Denard se raconte en vérité, ou presque. Il lève le voile sur les conflits de la décolonisation. En recouvrant leur indépendance, l’Afrique et l’Asie déclenchent l’appétit des grandes puissances. Pour Jouvray, non seulement l’homme est un loup pour l’homme, mais les États se dévorent entre eux, par la guerre ouverte ou la prédation économique. Certes, tous les colons n’étaient pas cruels, tous les politiques corrompus, tous les soldats assassins… mais beaucoup le furent et Denard ne fréquenta que les pires.
Le mercenaire Denard voudrait nous faire accroire qu’il ne battait pas pour de l’argent, mais par anticommunisme. Monsieur a des valeurs. Mais, éternelle tentation des mercenaires ambitieux, le succès lui monta à la tête. La cité fait appel à un capitaine pour la défendre, qui se rend indispensable et se fait prince, si possible héréditaire. Souvenez-vous des condottières, les Sforza à milan, les Gonzague à Mantoue, César Borgia qui se crut roi d’Italie ou Napoleone Buonaparte qui s’affirma empereur des Français. Denard régna, discrètement, une dizaine d’années sur les Comores.
Dès la couverture, Lilas Cognet nous offre son interprétation de la danse macabre. Un Denard ricanant valse avec la Mort, magnifique dans sa robe de pourpre. Le ton est donné. Si le trait, caricatural mais sans outrance, est sagement classique pour décrire le quotidien des affreux, vie de caserne, beuveries et négociations. Il se fait ironique et fantastique pour peindre l’horreur de la guerre. Au grès de sa fantaisie, Denard se mue en pirate, en char de manège ou en bonimenteur. Ses extraordinaires transis et monstres bariolés, toujours signifiants, semblent tirés du Triomphe de la Mort de Pieter Brueghel ou du Jardin des délices de Jérôme Bosch. Le trait est cynique, mais tout est vrai et parfaitement documenté.
Seul le titre pèche par optimisme, Denard n’est que le dernier mercenaire de sa génération, la relève est là. De véritables multinationales, cotées en bourse, fournissent des armées privées de contractors aux puissants de de monde, pour un marché annuel estimé à plus de 200 milliards de dollars. Bob n’était qu’un petit artisan franchouillard…
Stéphane de Boysson