Second (et dernier tome) du vénéneux et fascinant Tomino la maudite, qui voit notre petite troupe d’enfants-monstres échapper à l’emprise du diabolique Mr Wang, pour mieux être engloutie dans l’apocalypse que sera pour le Japon la fin de la seconde mondiale. Terrible…
Si la lecture du premier tome de l’œuvre magistrale de Suehiro Maruo, Tomino la Maudite, contant les déboires d’un couple d’enfants jumeaux livrés, en compagnie d’autres « monstres », aux exactions du cruel Mr Wang, qui les exploite dans sa boutique foraine, n’était certes pas de tout repos, on pourrait dire qu’avec cette suite, Maruo pousse tous les curseurs dans le rouge, et nous livre une œuvre incandescente, et presque insoutenable par instants. Car une fois dispersée aux quatre vents (mauvais), la petite troupe de freaks, qui s’était constituée dans la première partie du récit, n’offre plus à ses membres de protection : tous nos protagonistes vont affronter un destin individuel parfois dramatique, souvent terrible, et rarement consolateur.
Car l’idée géniale de Maruo – et c’était sans doute son but depuis le début – est de réinscrire sa fable fantastique dans la réalité effroyable du Japon de la fin de la seconde guerre mondiale : les crispations politiques d’un gouvernement fasciste face à la perspective de la défaite, le cataclysme nucléaire – une grande partie du récit se passe à Nagasaki – puis l’effondrement général de la société dans une misère noire, à laquelle s’ajoute l’humiliation quotidienne de l’occupation US… voilà ce que raconte ce second tome. Victimes comme toute la population japonaise des horreurs de la guerre, Tomino, son frère Katan et leurs amis seront de plus des proies faciles pour toutes sortes de monstres qui profitent du chaos général. La fin est atroce, même si le châtiment de Hebert Wang aura été, lui, exemplaire – et très honnêtement, fait vraiment froid dans le dos !
Au milieu de cette apocalypse collective qui crée autant de destins individuels tragiques, Maruo fait curieusement apparaître une sorte de possibilité de paix, de transcendance divine grâce à la religion chrétienne, et à certaines bonnes âmes dans ses rangs. C’est bien entendu une illusion, et cela permet surtout à Maruo d’illustrer les persécutions insanes dont furent victimes les chrétiens au Japon. Dans un monde sans espoir, sans avenir, où même la foi est refusée, comment vivre ? Tomino et Katan pensent que leur lien de gémellité peut être un havre de paix, mais la fin du livre révèlera qu’il est plutôt la marque d’une malédiction.
Profondément pessimiste, proposant des visions cauchemardesques encore plus radicales que celles du premier tome, au point que même la perfection sublime des dessins ne nous préserve plus, comme cela pouvait être le cas auparavant, la deuxième partie de Tomino la Maudite est à réserver, comme on le disait à une autre époque, à des « lecteurs avertis ». Mais consacre le génie sombre, très sombre, de Suehiro Maruo.
Eric Debarnot