La Troisième Guerre se présente sous la forme d’une chronique réaliste au sein d’une patrouille « Vigipirate » de l’armée française. Un film qui évoque la paranoïa de nos sociétés contemporaines immergées quotidiennement au cœur de cette guerre fantôme.
Pour son premier long métrage, le scénariste et réalisateur italien Giovanni Aloi s’attaque au sujet sensible de la présence massive de militaires dans nos rues, leur utilité et leurs différents affects, par le prisme d’une corporation « Sentinelle » sur le théâtre des opérations à Paris. L’opération « Sentinelle » voit le jour le 12 janvier 2015 sous la présidence de François Hollande, à la suite des attentats de début janvier (Charlie Hebdo, policiers, Hyper Casher), afin de renforcer le plan Vigipirate face à la menace terroriste sur le territoire national et sécuriser les points dits « sensibles ».
La bouille pouponne d’un jeune adulte les yeux fermés ouvre le film, comme pour nous indiquer d’emblée que cet individu fuit déjà la réalité, et qu’ainsi le cinéaste convoque le spectateur à une expérience sensorielle. Ce visage c’est celui de Léo Corvard, un jeune homme provincial issu d’une famille modeste (incarné avec intensité par Anthony Bajon), qui vient de terminer ses classes dans l’armée et honore sa première affectation sur Paris pour la mission « Sentinelle ». Son destin constitue le fil rouge narratif, et l’encéphalogramme des tourments cérébraux de ces humains singuliers, recrutés pour la Défense nationale afin de lutter face à un ennemi invisible.
Le récit documenté présente de nombreuses scènes en extérieur, où les rondes sur le macadam parisien s’effectuent au pas lent, avec l’esprit toujours sur le qui-vive, fusil Famas en mains et regards constamment aux aguets, où « tout ce que tu vois ce sont des menaces potentielles » prévient le soldat Hicham solidement interprété par Karim Leklou, avec des séquences à l’intérieur de la caserne, où moqueries et misogynie vont bon train, et pointent également du doigt la difficulté pour une femme (convaincante Leïla Bekhti) de trouver sa place, et de grimper les échelons au sein de cette institution masculine. Le réalisateur dresse ainsi une photographie sociale de cette unité particulière, confrontée à un cahier très strict, mais étonnamment restreint, d’interventions où les rapports avec la police s’avèrent conflictuels, dans un pays fragile dirigé par un pouvoir qui distille la peur sur les citoyens pour mieux régner. Cette auscultation urbaine du malaise social par le prisme de l’armée replonge quasiment dans l’absurdité de la référence cinématographique majeure : Le désert des Tartares (1976) de Valerio Zurlini.
Malgré un arc narratif parfois systématique, au caractère inéluctable et prévisible, ce film éthéré réussit avec talent à changer notre façon de voir la ville, en particulier la capitale, pour mieux s’immerger dans l’esprit de ces guetteurs de menaces, et de mieux saisir cette guerre psychologique.
Alors que la mort, à chaque coin de rue, semble prête à faucher ceux qui sont censés être le mieux formés pour la combattre, La Troisième Guerre se clôture de manière touchante, à travers un regard féminin ému, miroir opposé à la première image du film, promettant, malgré la funeste réalité de l’instant, un horizon plus solaire, éclairé par la vie…
Sébastien Boully